Bienvenue à Jésusland



1. Un dossier bien tombé.


Dans une banlieue cossue de Cleveland, pas loin de la route d’Akron, on pouvait voir de l’autoroute un bâtiment de style moderne d’environ quinze étages sur lequel on pouvait lire: « Bienvenue dans la maison du Seigneur ». On n’y servait pas de la soupe pour les déshérités, pas plus qu’on y collectait des fonds pour le tiers-monde; par contre, ce lieu servait à toutes sortes d’activités: on pouvait y faire de la musculation ou alors, moyennant une « cotisation pour le Seigneur », se baigner dans de très confortables bains à remous. Mais le clou de ce bâtiment, ce qui faisait qu’on venait de Pittsburgh ou Détroit, c’était les prêches enflammés de Christopher Innocent Allwright, fils et petit-fils de pasteur évangélique et prédicateur de renom.

Christopher Innocent Allwright était un homme de haute taille, à l’aspect imposant et au visage carré qui, lorsqu’il souriait, inspirait confiance à tous. Ses amis d’enfance disaient que, vu sa taille, il aurait dû être bûcheron et pas prédicateur ce à quoi il répondait que c’était Jésus qui l’inspirait, pas les arbres et d’ailleurs on n’avait jamais vu un arbre qui aimait les hommes comme Jésus. Il était marié à Barbara Petigrew depuis plus de trente ans et donnait à tous l’impression de l’aimer avec autant d’intensité que le jour de leur première rencontre. De leur union, Christopher et Barbara aimaient à dire que ce qui l’avait fait durer, c’était un mari travailleur et une femme fidèle, mais surtout la crainte du péché et l’amour de Jésus.

Les Allwright avaient une fille, Jennifer, âgée de vingt et un ans, qui suivait des études brillantes de théologie à l’université de Harvard et qui voulait devenir pasteur, ce qui faisait la joie de son père. De son père, Barbara avait hérité de sa stature (elle mesurait 1m95) et de sa mâchoire carrée qui donnait l’impression qu’elle puvait ouvrir une boite de conserve rien qu’en y plantant les dents.

Ce qui animait Christopher Innocent Allwright, ce qui le faisait se lever tôt tous les matins, c’était la ferme volonté que tous les hommes étaient faits pour rencontrer Jésus tout comme lui l’avait rencontré à dix-huit ans en lisant les nouvelles aventures de Buck Danny. Son arme la plus efficace pour propager la foi protestante, c’était son émission télévisée hebdomadaire: « Jésus en direct » durant laquelle il faisait ses prêches qui l’avaient rendu si célèbre et qu’on pouvait voir dans toute l’Amérique, même celle du sud, sur un bouquet sattellite très populaire qui touchait deux-cent millions d’abonnés.

Un soir de Printemps de l’an 2007, Christopher Innocent Allwright, tout entier concentré à la rédaction de son prochain prêche, entendit quelqu’un frapper à sa porte. « Entrez », dit-il d’un ton impérieux. Un homme de taille moyenne, portant un costume gris impeccable entra silencieusement. Il avait le visage rond des gens bien nourris, des petits yeux noirs cerclés de discrètes lunettes en métal et des cheuveux noirs coupés courts. Il s’appellait Ron Whiterspoon et était le comptable dévoué du pasteur. Il sortit un dossier d’une pochette en cuir noir qu’il portait et dit: « Voilà le dossier des chiffres d’audience de votre émission « Jésus en direct ». Ils sont plus qu’excellents, chaque dimanche, 70 millions de téléspectateurs vous regardent! »

-Alléluiah! Clama le pasteur, La vraie parole de Jésus entre dans tous les foyers d’Amérique dorénavant!

-Tout à fait, pasteur Allwright.

-Mais dites-moi, vous ne me dérangez pas à cette heure juste pour me dire ça?

-Non, je voulais aussi vous annoncer que votre Offre Publique d’Achat est sur le point d’être acceptée, dans quelques semaines, si le contrat est finalisé, vous serez propriétaires de 40% des actions du bouquet sattellite AmericaFirst, vous aurez alors une minorité de blocage qui vous permettra d’être président du conseil d’administration. Vous allez avoir les coudées franches pour faire des investissements et...

-Et propager la parole de Jésus! C’est mon souhait le plus cher! Alléluiah!

Whiterspoon eut un sourire crispé et se baissa pour reprendre le dossier lorsque un autre dossier tomba de la pochette pour se répandre sur le tapis: « Oh! Excusez-moi! » Fit-il. Le pasteur eut un froncement de sourcil et s’exclama: « Qu’est-ce donc? »

-Oh, rien... C’est un rapport sur notre mission évangélique en Centrafrique. C’est assez désastreux.

-Ah bon! (Le pasteur eut un air interloqué) et... où est exactement la Centrafrique?

-A l’est du Cameroun, au sud du Tchad et au nord du Congo démocratique, monsieur Allwright.

-Ah...

Whiterspoon reprit: « ils ont de gros problèmes, ils sont persécutés par le pouvoir et... » Christopher Innocent Allwright l’interrompit, rouge de colère: « Ils sont persécutés parce qu’ils sont protestants évangéliques? Mais c’est une honte! »

-En tous cas, ils appellent à l’aide.

-Donnez-moi ce dossier, fit le pasteur, d’un ton déterminé, avec la grâce de Jésus, je vais faire mon possible pour leur venir en aide. 

-Bien monsieur, fit Whiterspoon d’un ton poli. Et il déposa le dossier sur le bureau du pasteur...


2.Un prêche inoubliable.


Ce soir là, le pasteur Allwright se pencha toute la nuit sur le dossier Centrafricain. Il était sidéré devant tant de manque de respect pour l’enseignement de Jésus; il se disait que ses prêches ne servaient à rien tant que des hommes persécuteraient et tortureraient des protestants pour leur foi. A six heures du matin, après avoir bien réfléchi, il décida de faire son prochain prêche en direct de Bangui, en Centrafrique, afin de montrer au monde ce que c’était réellement que la foi en Jésus. Si la foi déplaçait les montagnes, elle pouvait bien arranger la situation dans ce coin reculé du monde...

Il descendit dans le hall d’acceuil du temple et se prit un café en attendant huit heures que Whiterspoon, les secrétaires et ses « brebis », comme il les appellait, viennent pour se livrer à leurs activités habituelles dédiées à Jésus. Le premier à se montrer fut Herbert, le gardien du temple, qui faisait sa ronde. Christopher Innocent Allwright héla: « Holà, Herbert! Que savez-vous de la Centrafrique? »

-De la quoi?

-De la Centrafrique.

-Je veux pas payer d’impôts pour construire une autoroute jusqu’au centre de l’Afrique!

-Mais non! Reprit le pasteur d’un ton énervé, le pays!

-Ah!

-Je viens de lire un rapport sur la vie de ces populations. Ils n’ont pas de chance, les pauvres, ils vivent sous un régime autoritaire qui persécute les minorités religieuses et ethniques. Je suis scandalisé. Vous feriez quoi pour les Centrafricains, vous?

-Je les inviterais à un match de Basket et je leur paierai des Big-Macs!

-Des Big-Macs! Ca c’est une bonne idée!

Le pasteur allait continuer lorsqu’il vit Whiterspoon arriver. Il l’apostropha: « Whiterspoon! Whiterspoon! Dieu nous a éclairé hier soir! Nous partons pour la Centrafrique! » Whiterspoon s’arrêta net, tourna la tête vers son ministre du culte, qui était aussi son patron et dit d’un air déconfit: « Excusez-moi? »

-Oui! Nous partons pour l’Afrique, Alléluiah! Notre vie sur terre n’aura pas été vaine! Nous avons enfin l’occasion de répandre l’amour de Jésus à nos frêres Africains!

Le visage de Whiterspoon blanchissait à vue d’oeil: « Mais... Est-il nécessaire que j’y aille? »

-Mais oui bien sûr! Nous partons avec tout le staff « Les investisseurs à hauts risques aiment Jésus » et aussi quelques gars du staff « Jésus aime la cuisine ». Je vous explique tout demain.

-Pourquoi? Vous partez où?

-Me coucher, j’ai passé une nuit blanche à étudier votre dossier. Il est formidable!

Whiterspoon prit un air gêné: « Merci monsieur Allwright. » Puis ils se séparèrent, l’un partant se coucher, l’autre allant travailler, sans se dire un mot de plus...

Le surlendemain, le pasteur, Whiterspoon et toute leur équipe prirent l’avion pour Bangui. Ils avaient rendez-vous avec une équipe de télévision Sudafricaine qui avait pour tâche de filmer en direct la prochaine émission de « Jésus en direct ».

Une fois arrivés sur place, le pasteur Allwright et son équipe, qui avaient réservé leurs chambre dans l’hôtel le plus moderne de Bangui, cherchèrent à contacter le représentant de la communauté évangélique de la république Centrafricaine. C’était Whiterspoon qui avait son adresse, dans un quartier populaire de l’est de la capitale. Le représentant, de son vrai nom Honoré N’douba, habitait une petite maison toute simple adossée à un temple très modeste. Quand il vit cela, le ministre du culte américain s’écria: « Ah, vraiment! Ces hommes ont la foi en Jésus! Nous devrions tous prendre exemple sur eux! Heureux les pauvres de coeur! Le royaume des cieux est à eux! En vérité je vous le dis, ces hommes sont de vrais croyants car ils croient sans avoir, Alléluiah! »

Puis il frappa à la petite porte en bois afin de se présenter. Un homme de haute taille, aux vêtements simples lui ouvrit: « Bonjour, fit le pasteur Allwright, je voudrais parler à Honoré N’douba »

-C’est moi même.

-Alléluiah!

Et il lui serra la main, puis reprit: « Monsieur N’douba, je me présente, je suis Christopher Innocent Allwright, je suis pasteur évangélique, tout comme vous et si je viens vous voir, c’est pour me tenir au courant de la situation des vrais croyants en Jésus dans votre pays. Mon comptable dévoué, Monsieur Witerspoon que vous voyez derrière moi, m’a informé des exactions et arrestations arbitraires dont les fidèles sont victimes. Au nom de Dieu je suis venu ici pour que cela cesse! »

-Que Dieu vous bénisse monsieur Allwright!

-Alléluiah!

-Alléluiah!

-Mais dites-moi, monsieur N’douba pourquoi donc les membres de notre église sont persécutés?

-C’est une histoire de politique. Le président, Denis Koro, est catholique, le principal opposant, Prosper Ganro, est protestant. Les Catholiques veulent garder le pouvoir, les protestants veulent le prendre, voilà l’histoire...

-C’est inacceptable! Moi vivant, jamais un homme ne sera persécuté pour ses convictions religieuses! Il faut faire cesser cela et avec l’aide de Jésus, je vais essayer dès demain soir!

-Mais comment allez-vous faire?

Christopher Innocent Allwright prit un air humble et déclara d’un ton calme: « Je ne suis peut-être que pasteur mais je possède une arme redoutable: la sainte parole de Dieu que je véhicule sur les ondes; en entrant dans tous les foyers je modifie les consciences pour la plus grande gloire du Seigneur! En vérité je vous le dis, la foi déplace les montagnes, et la foi aidée de la télédiffusion détrône même les pires dictateurs! »

-Il faut essayer, c’est peut-être la solution pour notre pays.

-Je passe demain soir à dix-huit heures avec toute mon équipe, nous ferons l’émission en direct et je vous garantis de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que les choses aillent mieux en Centrafrique.

-Ca va aller. Ca va marcher.

-Alléluiah!

Et ils se quittèrent, se donnant rendez-vous pour le lendemain dix-huit heures.

Le soir même, Ron Whiterspoon, enfermé dans sa chambre d’hôtel, étudiait encore le dossier Centrafricain. Vers vingt-trois heures, après une longue réflexion, il prit son téléphone cellulaire et donna un coup de fil à Dean Moriarty, un ami de l’université, qui travaillait maintenant pour la CIA: « Allo? »

-Allo, Dean Moriarty à l’appareil.

-Dean, c’est Ron Whiterspoon à l’appareil.

-Ron! Comment tu vas?

-Bien! Tu ne devineras jamais d’où je t’appelle!

-Dis moi!

-De Bangui, en Centrafrique!

-Ca alors, que fais-tu là-bas?

-Je suis avec mon patron, on va faire une émission en direct de Bangui.

-Eh ben dis donc, il a pas peur ton pasteur Allwright, avec ces exactions et cette guerre civile larvée...

-Justement, je crois que tu peux nous aider.

-Comment?

-Je ne sais pas si tu sais, mais il y a d’importants gisements d’uranium dans l’est près de Bambari.

-Effectivement.

-Et la mine d’uranium est exploitée par la Cogema, une boite Française, on est d’accord?

-Oui, et même qu’ils se font des couilles en or avec cet uranium.

-Eh bien, si tu soutiens la rebellion protestante, il y a des fortes chances que ce soit nous qui récupérions ce marché fort lucratif, tu me suis?

-Tout à fait! Je vais étudier le dossier demain et je te rappelle!

-OK. Salut Dean.

-Salut Ron. On reste en contact.

Et ils se quittèrent ainsi.

Le lendemain, à dix-huit heures, devant le petit temple en parpaings, Christopher Innocent Allwright et toute son équipe, renforcés en cela par l’équipe de télévision sudafricaine, se tenaient prêts pour le direct. Attirés par les caméras et toute cette population nouvelle, tous les jeunes du quartier regardaient d’un oeil amusé le pasteur se préparer pour son émission inédite en direct de Bangui.

Le réalisateur fit le décompte final puis pointa son doigt en direction de Christopher Innocent Allwright, l’émission avait commencé, c’était à lui de jouer maintenant: « Bonsoir à tous et à toutes, amis de Jésus! Bienvenue à Jésus en direct! » La foule applaudissait. Le pasteur reprit: « Nous sommes ici en direct de Bangui en Centrafrique pour vous parler, mes chers amis, de la situation de l’église évangélique dans cette partie du monde. Comme vous le savez tous, la Centrafrique se situe en Afrique... du centre, à l’est du Cameroun, au sud du Tchad et au nord du Congo! Loué soit celui qui connait la géographie! Loué soit le Seigneur, Alléluiah! » La foule, amusée et curieuse, reprenait en choeur: « Alléluiah! »

« Oui, mes amis, grâce à la technologie moderne, qui démultiplie la parole du Seigneur, je parle désormais à tous les hommes de bonne volonté, à ceux épris de liberté car il se passe en Centrafrique des choses insupportables pour celui qui croit en Jésus! Oui, mes amis, ici les missions évangéliques sont persécutées du simple fait qu’elles sont évangéliques, allons-nous tolérer cela, allons-nous laisser faire? »

Le pasteur prit alors un ton plus sentencieux: « Dans sa grande bonté, Jésus a dit: « Soyez sur vos gardes, on vous livrera aux tribunaux et aux synagogues, on vous frappera, on vous traduira devant des gouverneurs et des rois à cause de moi » Oui, gloire aux persécutés pour le Seigneur! Ces hommes qui se battent tous les jours pour qu’advienne le règne de Jésus seront les premiers au royaume du Seigneur! En vérité je vous le dis comme le disait déjà Jésus: « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice: le royaume des cieux est à eux! » Alléluiah! »

Et la foule, plus qu’excitée devant le zèle du pasteur reprenait: « Alléluiah! »

« J’ai ici avec moi l’un de ces hommes courageux qui propagent à la sueur de leur front la parole de Jésus, approchez-vous pasteur N’douba! » Le pasteur N’douba approcha, souriant, et dit un timide bonjour. Christopher Innocent Allxright, empourpré par l’excitation du moment, lui demanda d’un ton mielleux: « Alors, monsieur N’douba, que se passe-t-il dans ce pays avec les minorités religieuses, dites-moi ça un peu... »

-Il y a que quand tu n’es pas catholique, on t’écarte...

-On t’écarte, que cela veut-il dire, au juste?

-On t’écarte... Tu es exclu.

-Mais exclu de quoi?

-Pour travailler quoi, quand tu es protestant, pour travailler, y a pas moyen.

La bouche de Christopher Innocent Allwright se fit encore plus mielleuse: « Et si on n’est pas d’accord, il se passe quoi? » Le pasteur N’douba se fendit d’un large sourire: « Oh moi! Vous savez, je ne fais pas de politique. »

-Mais si... Vous savez... Qu’est-ce qui se passe si on n’est pas content.

-On disparait.

-On disparait?

-Oui, on disparait. Du jour au lendemain on n’entend plus parler de vous.

-Et il y a beaucoup de gens qui disparaissent comme cela, sans raisons?

Le pasteur N’douba dit d’un ton affirmatif: « Oui! Et si on demande pour savoir, on répond que la police fait une enquête mais en fait, ils ne font rien. »

Christopher Innocent Allwright se tourna alors vers la caméra, fit comprendre par des signes qu’il voulait un gros plan sur lui et prit un air déprimé: « Vous voyez, chers téléspectateurs, ce qui se passe dans certaines parties du monde si on a le simple tort d’aimer Jésus. Mais je vous invite à faire avec moi un petit tour dans les faubourgs de Bangui pour voir un peu quel est le quotidien des Centrafricains. On se retrouve après le reportage et la publicité! Alléluiah! »

Un voix vint du réalisateur Sudafricain: « C’est bon, on est hors antenne! » Christopher Innocent Allwright se détendit un peu, s’épongea le front avant de déclarer: « Avec tout ça, si Dieu ne nous vient pas en aide! » Puis, se tournant vers Whiterspoon: « Il est bien, le reportage sur les bidonvilles? »

-Très bien, très bien, répondit Whiterspoon en souriant, on voit tout: les gosses qui fouillent les poubelles, les marchands ambulants, les malades du sida, tout je vous dis! Et à la fin, on parle un peu de la situation politique et des protestants persécutés. »

-Ah! Dans quel horrible monde vivons-nous! Vivement le retour de Jésus!

-Tout à fait, pasteur Allwright. Et je dois aussi vous prévenir que notre club d’investisseurs à hauts risques va peut-être racheter pour vous des parts des mines d’uranium de la région de Bambari. Si cela se finalise, c’est une très bonne affaire, l’uranium est un métal à très haute valeur ajoutée, voyez-vous.

-Vous avez raison, l’uranium est sûrement une très bonne source de revenus et de toute façon Jésus n’a rien contre ceux qui font des affaires, au contraire, même, comme le dit l’adage populaire: « Aide toi le ciel t’aidera ». Faire du commerce, c’est créer des richesses et créer des richesses, c’est créer un monde monde meilleur pour tous. Quel est votre avis, pasteur N’douba?

-Oh là là! l’uranium, c’est un métal maudit! Tout le monde s’étripe pour ces cailloux! Non, vraiment, l’uranium ne m’intéresse pas.

Un silence se fit, Allwright et Whiterspoon ne savaient quoi dire puis, au moment où le silence se faisait pesant, le réalisateur annonça: « Antenne dans trente secondes! » Les deux pasteurs rajustèrent leurs vêtements en vitesse, se placèrent devant la caméra et le direct recommença: « Eh bien voilà chers téléspectateurs, vous venez de voir ce reportage édifiant sur les conditions de vie quotidiennes en Centrafrique. Vous avez vu que dans ce pays qu’aime pourtant Jésus, des gens n’ont pas toujours de quoi se nourrir ni se soigner. » La voix du pasteur Allwright se fit alors plus forte: « Nous qui aimons Jésus, allons-nous tolérer cela? Et qu’aurait fait Jésus à notre place? En vérité je vous le dis, Jésus, au lac de Tibériade, a multiplié le pain et les poissons. Et bien ce soir, loué soit le Seigneur! Oui, loué soit le Seigneur car ce soir ce n’est pas le pain et les poissons qui sont multipliés mais les Big-Macs et les Cocas! Alléluiah! Oui ce soir Jésus a fait des miracles! Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, ils seront rassasiés! Alléluiah! Alléluiah! »

Et effectivement, des hommes du groupe « Jésus aime la cuisine » arrivèrent dans de grands camions devant la foule éberluée. Ils ouvrirent les camions et à l’intérieur on pouvait voir des Hamburgers tous chauds ainsi qu’une célèbre boisson gazeuse. Dès que les portes furent ouvertes, la foule, qui était restée calme jusque là, se précipita vers la nourriture dans le plus grand désordre et les hommes du pasteur Allwright eurent beaucoup de peine à faire une distribution équitable. Les caméras restèrent quelques minutes à filmer la cohue puis le pasteur Allwright reprit l’antenne en guise de conclusion: « Voilà, chers amis, rien n’est impossible à celui qui a la foi en Jésus et si vous le souhaitez, vous pouvez en appellant le numéro qui apparait sur l’écran, faire quelque chose pour nos amis Centrafricains qui sont persécutés. Que Jésus dans sa grande bonté nous aide à donner à ces gens les libertés élémentaires qui sont à la base d’une vraie foi en Jésus! C’était Christopher Innocent Allwright en direct de Bangui. A vous les studios! »

L’émission avait prit fin dans la plus grande confusion mais le pasteur Allwright était satisfait, il n’avait qu’une hâte maintenant: voir les chiffres de l’audience pour savoir si son prêche avait porté ses fruits.


Le résultat du prêche ne fut pas, pour Christopher Innocent Allwright, qu’un simple succès télévisuel. Il fut le début d’un engouement populaire sans précédent. Dès la fin de l’émission, la standard de « Jésus en direct » fut complètement débordé: des gens de toute l’Amérique voulaient spontanément venir en aide aux Centrafricains persécutés. Certains voulaient donner de l’argent, d’autres voulaient donner du temps, quelques uns du temps et de l’argent quoi qu’il en soit tout le monde, ce soir là, et aussi les jours qui suivirent, était un peu Centrafricain. Les gens, dans toutes les agences de voyage d’Amérique, se ruèrent sur les billets d’avion pour Bangui, il n’y avait pas une famille qui ne voulut adopter un petit orphelin Centrafricain. Une semaine plus tard, une chorale de quarante artistes Américains célèbres enregistrèrent « Unite for Centrafrica » qui battit des records de vente; il n’y avait pas une personne qui n’avait pas son porte-clé, T-shirt ou sa peluche aux couleurs de la Centrafrique. Une chaîne de restauration rapide inventa peu après le « Bangui-Mac », qui eut un franc succès et le succès des ventes de livres cette année là racontait l’histoire d’une infirmière Centrafricaine rejetée pour sa foi protestante épousant un milliradaire Américain.

Quand à Honoré N’douba, il fut invité à la maison blanche où il reçut la médaille d’honneur du congrès Américain sous les ovations des députés enthousiastes. Cette vague de sympathie profita aussi à la rebellion protestante de l’est Centrafricain qui reçut de nouvelles armes et put bientôt renverser le pouvoir en place, ce qui fit que, comme l’avait prévu Whiterspoon, la licence d’exploitation fut réattribuée au consortium Américain Amatomium dont Whiterspoon avait acheté 20% des parts avant de partir pour Bangui ce qui faisait dorénavant de solides revenus pour la holding du pasteur Allwright.


3-Un matin à la basilique.


Lorsque la rebellion de l’est Centrafricain prit, après d’âpres et meurtriers combats, le pouvoir en Centrafrique, ne laissant à l’armée régulière en déroute qu’un petit réduit à la frontière du Congo démocratique, il y eut des « remembrements » dans toute la société Centrafricaine. Les catholiques qui avaient soutenus le pouvoir furent massacrés ou déportés, ceux qui étaient restés neutres furent exclus de la vie publique et des protestants bon teint tinrent bientôt tous les rouages du pouvoir. Bien sur, on protesta officiellement aux nations unies qui votèrent une résolution qui cependant ne fut pas appliquée car les Etats-Unis menacèrent de mettre leur veto et de ne pas rembourser ce qu’ils devaient à l’ONU car, disaient-ils, c’était un problème interne à la Centrafrique et puis de toute façon, il fallait laisser un maximum de libertés aux gens, c’était la garantie d’un meilleur développement économique pour le futur.

Néammoins, la défaite des Catholiques n’avait pas fait que des heureux et spécialement à la basilique Saint Pierre de Rome où la nouvelle fut reçue avec déception.

En effet, derrière la basilique, dans les appartements particuliers du pape, au cours d’un matin de l’automne 2007, trois hommes étaient penchés assidument sur le triste sort des catholiques Centrafricains. La plus imposante de ces trois personnes était bien évidemment Jean-Paul II qui vivait dans sa Papabulle, une grosse cloche de plexiglas rempli d’un liquide translucide dans lequel Jean-Paul II flottait tel un cosmonaute en apesanteur. Ce liquide lui permettait de rester en vie malgré un état de santé plus qu’exécrable. Cette « eau bénite » dans laquelle Jean-Paul II baignait était un liquide dont la composition restait aussi secrète que le mystère de la sainte trinité. Pour communiquer avec le monde extérieur, Jean-Paul II avait un petit clavier numérique à la base de sa bulle qu’il pouvait utiliser s’il pouvait se mouvoir de telle façon que ses mains puissent frapper les touches, ce qui n’était que très rarement le cas puisque le plus souvent, le pape était dans un tel état de béatitude qu’on aurait dit sainte Thérèse d’Avila montant au ciel en compagnie d’une myriade d’anges célestes.

Les deux autres personnes qui étaient avec le pape étaient le professeur Maximilian Manieri, docteur en médecine de l’université de Milan, spécialiste en gérontologie et inventeur de la papabulle. La troisième personne était le cardinal Ralph Metzger, un ecclésiastique Bavarois dont la fonction officielle était porte parole du Vatican, et dont la fonction officieuse était éminence grise du pape.

Alors qu’ils étaient dans les appartements privés de Jean-Paul II, un petit séminariste qui avait la candeur d’un chérubin apporta une dépêche sur les évènements de Centrafrique. Le professeur Manieri la prit et la lut: « Les rebelles Centrafricains sont maîtres de Bangui, l’armée régulière est en déroute et s’enfuit vers le sud. Les catholiques ayant pactisé avec le pouvoir sont persécutés. Qu’en pensez-vous, Ralph? »

-cujus regio, ejus religio

-Tout à fait, le pouvoir, toujours le pouvoir... Nos ouailles ne sont pas toujours de bons catholiques. Est-ce notre faute si les hommes sont violents? Quoi qu’il en soit, ce pasteur Américain nous a joué un mauvais tour, ce n’est que la Centrafrique, mais demain ce sera le Cameroun, le Nigéria, les Phillippines ou que sais-je encore! Il faut étouffer la pomme de la discorde avant qu’elle ne donne naissance à tout un champ de pommiers odoriférants. D’autant plus que cette minable guerre civile nous a fait perdre 20 millions de dollars de revenus annuels! Qu’en pensez-vous Très Saint Père?

Jean-Paul II flottait dans sa papabulle sans qu’il donne le moindre signe de vie. Un long silence se fit, rompu par le cardinal Metzger: « Le Saint Père nous fait part de sa compassion immense pour toutes les victimes de ce sinistre conflit et, si je puis me permettre, il est mortifié de savoir que l’argent des Centrafricains est dorénavant voué à des oeuvres bassement humaines et n’est plus utilisé à la propagation de la gloire de notre Seigneur. »

Le docteur Manieri mit les yeux aux ciel et dit d’une voix angélique: « Vos paroles sont saintes, Très Saint Père! » Puis, se tournant vers le cardinal: « Je crois, cardinal Metzger, qu’il est temps de réagir. »

-Oui, tout à fait, mais comment?

-Je ne crois pas que des annonces officielles soient appropriées, ça ferait mauvais genre aux yeux de ces imbéciles d’athées que de se plaindre. On pourra toujours se servir de notre image pour dire des banalités comme quoi les hommes doivent s’éloigner de la voie de la violence et reourner au message du Christ mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est qu’il y a quelqu’un qui marche sur nos plates bandes et ce n’est pas tolérable...

-On pourrait peut-être le discréditer, fit le cardinal Metzger.

-Tout à fait votre Sainteté, tout à fait! Nous allons bien trouver une faille dans la vie de ce petit prédicateur d’opérette...


4-Une bien curieuse secrétaire...


Durant ce même automne 2007, Christopher Innocent Allwright commençait à s’ennuyer de ses prêches Américano-américaines qu’il faisait depuis six mois sans interruption tous les dimanches. Pour se redonner le moral, il passait beaucoup de temps dans sa petite maison bourgeoise de la banlieue de Cleveland en compagnie de sa femme et de sa fille, quand celle-ci n’était pas toute à son année universitaire. C’est justement cette dernière qui lui fit, en cette matinée d’automne, une annonce surprenante: « Papa? »

-Oui ma chérie, bénie sois-tu.

-Je voulais... T’apprendre une nouvelle concernant mon avenir.

Le pasteur eut un grand sourire artificiel et dit d’un ton enjoué: « Laquelle ma chérie? » Elle reprit d’un ton hésitant: « Eh bien voilà. Je viens d’obtenir une bourse pour l’université pontificale Saint Thomas d’Aquin à Rome. Je compte m’y rendre dès que possible. » Le pasteur eut l’air surpris et mit du temps à répondre: « Comment, tu vas étudier à Rome la théologie? Mais il y a de très bonne universités en Amérique ma chérie! Pourquoi vouloir te séparer de nous? »

-Mais papa! C’est la meilleure université de théologie du monde! J’ai été sélectionnée sur dossier, tu devrais être content!

-Je ne sais pas... C’est inattendu. Je vais demander conseil à Barbara.

Barbara Petigrew Allwright était dans une autre pièce et discutait avec son décorateur de problèmes concernant la chambre d’amis. Quand elle entendit son mari, elle accourut: « Qu’y a-t-il mon chéri? »

-Je crois que c’est à Jennifer de t’en parler.

La fille du pasteur prit la parole d’un ton inquiet: « Comme je viens de le dire à Papa, j’ai été sélectionnée sur dossier par l’université Saint Thomas d’Aquin de Rome et je compte m’y rendre dès que je serais inscrite. »

-Mais enfin, il y a de très bonnes universités dans notre chère Amérique, pourquoi vouloir aller à l’étranger? Nous ne sommes pas d’accord. Dis-le lui, Christopher!

Jennifer était très déçue, mais elle ne voulait pas rendre les armes: « C’est une occasion unique! J’aurai accès à la bibliothèque du Vatican! J’aurai des conditions d’études rêvées! C’est une chance pour moi! » Le pasteur Allwright, intrigué, interrogea sa fille: « Mais que vas-tu faire au juste une fois que tu seras à Rome? »

-Je vais parfaire mes connaissances sur les théologies catholiques et protestantes et je compte faire un mémoire sur l’influence des sectes protestantes au XVIIième siècle.

Barbara l’interrompit d’un ton implorant: « Mais pourquoi ne restes-tu pas ici ma chérie? »

-C’est une occasion que je n’aurai plus jamais. La meilleure université, tu te rends compte!

Barbara se rebiffa: « Tant que nous serons vivants, tu n’iras pas faire tes études en Iatlie ni où que ce soit d’ailleurs! Tu étudieras en Amérique! N’est-ce pas Christopher?

Le pasteur était hésitant: « Jennifer, te rends-tu compte que la maison sans toi seras un désert? Te rends tu compte que je t’aime autant que j’aime Jésus? » Sa voix se fit toute douce: « Ma chérie... As-tu bien réfléchi? »

-Oui, j’ai réfléchi, c’est ce que je veux faire.

Christopher Innocent Allwright dit à voix basse: « Que ferai Jésus dans un moment pareil? » Barbara l’interrompit: « Jésus n’a jamais quitté la Galillée, lui. Ce n’était pas un saltimbanque! »

Jennifer se mit à pleurer: « S’il vous plait, ne m’empêchez pas... Ne m’empêchez pas... » Alors le pasteur fut ému par sa fille et déclara: « Loué soit le Seigneur! Ma fille, si tu veux aller à Rome, vas-y par amour pour Jésus! Béni soit celui qui étudie au nom du Seigneur! Alléluiah! Si c’est ce que tu veux, que cela se fasse selon ta volonté car Jésus qui pardonne tout nous fait te pardonner ton départ pour l’étranger. Tu as notre bénédiction. Alléluiah! Et maintenant nous allons nous donner le moment de réconciliation pour nous rappeller que Jésus pardonne de tous les péchés. »

Le pasteur, sa femme et sa fille se serrèrent alors très fort les uns les autres et des larmes coulèrent des trois visages ce qui faisait que dorénavant tout conflit avait cessé et que Jennifer pouvait partir pour Rome. On chanta des cantiques, on lit des passages de la bible en signe de joie et on promit devant Jésus de ne plus se disputer, surtout pour ce genre de choses, qui ne peuvent réellement être source de discorde quand on est un ami des saintes écritures...

Ce fut quelques minutes après que le pasteur Allwright reçut un coup de fil de son comptable Whiterspoon qui l’informa que le nouveau contrat passé avec American Amatomium rapporterait à la holding des « amis de Jésus » environ 100 millions de dollars par an surtout en raison du contrat sur l’uranium Centrafricain. « Alléluiah! Fit le pasteur Allwright! Rien ne me plait plus que quand les affaires et la foi font cause commune! » Whiterspoon, dont la fidélité pour son patron venait d’une éducation évangélique rigoriste, ainsi que d’une servilité hors du commun, rappella au pasteur qu’il avait rendez-vous dans l’après-midi avec une jeune fille tout droit venue de Varsovie qui postulait pour le poste d’assistante de direction vacant depuis quelques jours. Le rendez-vous était fixé à quatorze heures et comme c’était dans moins d’une heure, Christopher Innocent Allwright décida de s’y rendre sur le champ.

Il était à peine entré dans son bureau que Mme Hollyfield, sa collaboratrice de vingt ans, lui annonça que Mlle Anna Rybak, était arrivée. La demoiselle qui entra était une femme de grande taille, au visage angélique réhaussé par une abondante cheuveulure blonde. Elle portait un tailleur rose que le pasteur trouvait de très mauvais goût, mais il ne dit rien, attendant d’en savoir plus sur son parcours professionnel. « Bonjour pasteur Allwright, je suis enchantée de faire votre connaissance » dit-elle dans un Anglais parfait. « Bien, fit le pasteur Allwright, si je comprends bien, vous postulez pour le poste d’assistante de direction. Quelles sont vos références je vous prie... »

Tout en montrant un magnifique sourire, Anna enchaina: « J’ai travaillé pendant quatre ans en tant qu’assistante de direction de Piotr Kowalski, le patron du groupe Polprom. Nous avons dû nous séparer quand la société a fait faillite. »

-Ce qui explique pourquoi vous êtes actuellement au chômage. Et au niveau des langues, combien en parlez-vous?

-Je parle Polonais, bien sûr, mais aussi parfaitement Anglais, Espagnol et Allemand.

-Très bien, très bien, fit Allwright d’un air pensif. Et quel est le petit plus qui ferait que je vous engagerais?

Anna Rybak se mit à regarder le pasteur droit dans les yeux et lui dit d’une voix enjôleuse: « Je peux vous faire des choses... » Le pasteur était fort surpris: « Des choses? Qu’est-ce que cela veut dire? Evangéliser? » Anna se leva, fit le tour du bureau et se mit devant Christopher Innocent Allwright, les bras posés sur ses épaules ce qui faisait que le pasteur avait un point de vue imprenable sur la poitrine d’Anna, poitrine qui était d’ailleurs fort généreuse: « Evangéliser, pourquoi pas? Je vais même commencer tout de suite en évangélisant des terres inconnues...»

Le pasteur était dans un état indescriptible, il tremblait comme une feuille: « Mais... vous aimez Jésus? » C’était tout ce qu’il avait trouvé à dire... Anna continua: « Oui, j’aime Jésus, et je suis sûre que Jésus nous aime tous les deux mon beau pasteur... » Elle se mit à genoux et commença à déboutonner le pantalon du pasteur. Le pasteur était au bord de l’apoplexie, il rougissait à vue d’oeil et ne s’exprimait que par des borborygmes: « Ahh... Hem... Haeu... Mbon... » Une fois le pantalon déboutonné, Anna Rybak sussura d’une voix lascive en découvrant le sexe en érection du pasteur: « Oui... Je vais évangéliser la terre sainte... Bénies soient les fruits que nous donne le Seigneur! » Bien que Christopher Innocent Allwright soie visiblement mal à l’aise, il se laissait faire sans mot dire et murmurait: « Lève-toi, mon aimée, ma toute belle, et viens. Car voici l’hiver passé; la pluie a cessé, elle a disparu. Les fleurs paraissent sur la terre; le temps des chansons est venu, on entend la voix de la tourterelle. » La bouche de la jeune femme faisait maintenant de sensuels va et vient sur la verge du pasteur: « Oui... Non... Encore... Assez... » faisait Christopher Innocent Allwright d’une voix gourmande. Elle disait: « C’est le mystère de la Sainte Trinité qui s’éclaire devant moi! Le Saint Esprit va bientôt jaillir en océan de lumière et se répandre sur le monde pour le féconder! » tout en faisant des acrobaties avec sa langue délicatement posée sur le gland évangélique. Le pasteur murmurait: « Le figuier pousse ses jeunes fruits, la vigne en fleurs exhale son parfum. Lève-toi mon aimée, ma toute belle, et viens! » Pendant que le pasteur mettait timidement la main dans les cheuveulure abondante de la ravissante jeune fille, on pouvait entendre: « Oh! j’aime quand tu me racontes tes poèmes! » Elle se mit alors à lui lècher les testicules. Le pasteur continuait de psalmodier: « Fais-moi entendre ta voix car ta voix est douce et charmant ton visage! »

A ce moment, madame Hollyfield entra et devant le spectacle poussa un cri d’effroi: « Aah! Pasteur Allwright, mais que faites-vous donc? » Le pasteur se releva d’un bond, reboutonna son pantalon et dit, très gêné: « Nous... Nous relisions le cantique des cantiques... » Puis, se tournant vers Anna: « Vous avez une bonne expérience professionnelle mais... Comment dire... Vous n’êtes pas sérieuse dans votre travail. Au revoir mademoiselle Rybak. » Et Anna Rybak disparut.

Le pasteur Allwright congédia mme Hollyfield puis passa le reste de l’après-midi à méditer sur les faiblesses de la chair pour finir par rentrer chez lui tout honteux. Il se fit tout petit ce soir là...

5-Un réveil inattendu.


Le lendemain matin vers sept heures, le pasteur Allwright fut réveillé par un coup de fil inopportun. Il décrocha: « Allo? » C’était Whiterspoon: « Pasteur Allwright, comment avez-vous pu? »

-Comment quoi?

-Vous! Un exemple pour la communauté évangélique ; avec cette femme!

Christopher Innocent Allwright se souvint alors de sa rencontre de la veille. Il était très gêné: « Ecoutez, je peux tout vous expliquer, c’est un malentendu... J’ai été victime de harcèlement sexuel. »

-De harcèlement sexuel! Ce n’est pas ce que disent les journaux de ce matin. Je vous lis les titres; pour le Los Angeles Times: « Pasteur obsédé cherche secrétaire délurée », pour le New-York Herald Tribune: « Le célèbre pasteur Allwright les aime jeunes et bien roulées », pour le Washington Post: « On baise dans l’allégresse à la maison du Seigneur »

Christopher Innocent Allwright lâcha le combiné et dit d’un air déséspéré: « Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné? » Whiterspoon le ramena à la réalité: « Pasteur, c’est très grave, nos actions ont déjà perdu plus de trente pourcents, nous courons à la ruine. » La perspective d’être à la tête d’un empire financier presque mort lui redonna envie de se battre et il répondit: « Je suis là d’ici dix heures, le temps de préparer ma femme à la nouvelle. Ne vous en faites pas, Whiterspoon, tout est possible pour celui qui a la foi en Jésus! »

-A dix heures, d’accord.

Ils raccrochèrent et Whiterspoon pensa à ce moment là que ce n’était pas de foi dont ils avaient besoin mais d’un miracle. Il aurait frappé des dix plaies d’Egypte Anna Rybak si il l’avait eu devant lui.

De son côté, Christopher Innocent Allwright se mit tranquillement à préparer du poulet frit aux œufs, attendant que sa femme et sa fille se réveillent.

Vers huit heures, il entendit du bruit dans les chambres du haut puis des pas dans l’escalier; c’était Barbara, sa femme. Christopher Innocent Allwright avait la mine des mauvais jours. En voyant cela sa femme lui fit cette remarque: « Qu’y a-t-il chéri, ça ne va pas? »

-Je dois t’avertir devant Dieu que Satan a tenté de corrompre cette maison...

-Qu’est ce qui se passe?

-Le péché de chair, Barbara, le péché de chair...

-Mais enfin, de quoi parles-tu?

Le pasteur baissa les yeux et dit d’un ton de supplique: « Une femme a tenté de me corrompre hier après-midi. »

-De te corrompre? Mais tu es aussi solide que le rocher de Canaan, n’est-ce pas mon chéri?

-Pas tout à fait encore, j’ai... Ooh! Je ne peux dire ce mot indigne d’un bon chrétien!

-Mais... Que se passe-t-il?

-J’ai... J’ai...

Christopher Innocent Allwright pleurait à chaudes larmes: « Ma chérie, si tu savais comme il est facile de tenter un homme! Mon salut! Notre salut est mencé et tout cela par ma faute! En vérité je te le dis, il est difficile pour l’homme d’entrer dans le royaume de Dieu... » Barbara Allwright Petigrew, hypnotisée par les paroles de son mari, répondit: « Mais alors, qui peut être sauvé? »

-Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu; car tout est possible à Dieu. Auras-tu sa miséricorde?

-Je ne sais pas.

-Ma chérie, une femme sans doute possédée par Satan m’a éloigné de la voie de Jésus!

-Comment cela?

Le pasteur était tout hésitant: « J’ai... J’ai forniqué avec une femme hier. Oui c’est cela, j’ai forniqué. Comme les porcs forniquent dans la boue! »

-Oh! Mon chéri, ce n’est pas possible! Ce n’est pas vrai!

Un long silence se fit, plus éloquent qu’un long discours puis Christopher Innocent Allwright dit d’une voix douce: « Auras tu la force de me pardonner? »

-Jures-tu de ne plus jamais recommencer?

-Oh non, je ne recommencerai plus c’est promis devant Jésus! Le péché de chair est tellement traumatisant. Quelle horreur au nom de Jésus que de faire l’amour à une femme hors des liens sacrés du mariage d’autant plus que je n’ai pas voulu ça...

-Comment cela?

-J’ai été envoûté par satan.

-Par satan?

-En personne. Je n’étais plus moi-même, ma chérie...

Et Christopher Innocent Allwright se mit à pleurer: « Pardonne-moi! Pardonne-moi! » Alors Barbara, émue par ce qu’avait subi son mari, lui dit la phrase tant attendue: « Eh bien mon chéri je te pardonne. »

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre en se disant des « Je t’aime », des « Gloire à Dieu », des « Alléluiah » à n’en plus finir. Mais ce que Barbara ne disait pas, c’est qu’elle n’avait aucunement l’intention de se séparer d’un homme qui lui procurait un grand confort matériel et ce, depuis de nombreuses années, même s’il devait la tromper avec de nombreuses amantes. Et puis... Il y avait leur fille qui avait besoin de ses deux parents...

Quand Jennifer se leva, on la mit au courant et tout comme sa mère, elle eut la force de pardonner à son père car, disait-elle « il fallait être miséricordieux tout comme Jésus l’est avec nous; et puis un des dix commandements ne prescrivait-il pas d’honorer notre père et notre mère? ». On se prit dans les bras et on pleura beaucoup ce matin là.

C’est en arrivant au siège de son temple (qui était aussi le siège de sa holding) que les journalistes le trouvèrent: « Par Jéus! » se dit le pasteur Allwright en voyant ces hordes de journalistes, caméra à l’épaule qui se bagarraient pour l’interviewer. Heureusement, Herbert, le gardien faisait bonne garde et Christopher Innocent Allwright put entrer à son bureau sans être importuné.

Whiterspoon ne tarda pas à le déranger: « Alors pasteur Allwright, vous avez passé une bonne journée » Le pasteur répondit d’un ton détaché: « Je bénis chaque jour que Dieu fait, Whiterspoon, vraiment... »

-Mais... Vous n’avez pas commis le péché d’adultère, pasteur, dites-moi que ce n’est pas vrai?

-Hélas, Whiterspoon, Hélas, je crois que je suis tombé dans le péché sans même m’en apercevoir...

Whiterspoon dit d’un ton défait: « Et que comptez-vous faire maintenant? »

-Je me mets au travail dès maintenant et je m’expliquerai dans mon prochain prêche. Je suis peut-être un pêcheur Whiterspoon, mais on ne dira pas de moi qui je ne passe pas tout mon temps à ce que se propage le message de Jésus!

Whiterspoon était rassuré. Il retrouvait là le patron de ses débuts, celui qui évangélisait dans des granges des paysans analphabètes au fin fond de l’Ohio. Il fut soudain plus calme...


6-Le miracle de l’amour.


Le grand jour du prêche hebdomadaire était arrivé et le pasteur Allwright ne pouvait plus reculer désormais; il avait dit qu’il s’expliquerait lors de Jésus en direct et on était le jour fatidique, celui où un pasteur accusé du péché de chair devait rencontrer son public. Prudent, Whiterspoon avait retardé le lancement des produits de consommation courante « approuvés par Jésus » que son équipe « Jésus aime le marketting » avaient mis au point; la holding Allwright avait d’autres chats à fouetter à cette heure.

Le matin de « Jésus en direct », le pasteur semblait détendu. Comme toujours, son texte n’était connu de personne, mais à son sourire rassurant, à sa politesse extrême, à ses sourires complices, ses proches devinaient qu’il avait la foi qu’il avait toujours eu: ferme, solide, inébranlable. Personne ne doutait qu’il allait surmonter ses ennuis avec la presse, que tout cela n’était pas vrai.

Comme les journaux avaient publié les photos, les admirateurs du clergyman disaient que c’était un coup monté, qu’un saint homme comme le pasteur n’avait pas pu faire ça. D’autres disaient qu’il était foutu, que c’était son baroud d’honneur; quoi qu’il en soit, beaucoup d’hommes et de femmes voulaient voir le pasteur le plus photogénique du monde régler ses comptes avec ses détracteurs.

Il fit son entée sur le plateau, salua tout le monde d’un « Hello » flagorneur comme à son habitude et ce fut à lui de parler:  «Mes biens chers frêres, mes biens chers soeurs, vous vous demandez peut-être pourquoi un homme comme moi, n’ayant pas de soucis matériels particuliers, tient à prêcher la bonne parole de notre Seigneur Jésus-Christ tous les dimanches! Je leur réponds que je n’ai aucun mérite. C’est la foi qui me guide. Toute ma vie durant, j’ai fait tout mon possible pour être un bon croyant, dès l’âge de douze ans j’ai été secrétaire de l’association d’entraide de mon collège. Par la suite, tout au long de mes études, je n’ai cessé de répandre la parole de Jésus autour de moi. Puis j’ai décidé d’évangéliser. Sur les routes de l’Ohio je suis parti avec mes amis et j’ai prié! Oui! J’ai prié! J’ai prié pour que l’amour de Jésus se répande sur nous comme le soleil se répand sur le monde! Mais les hommes sont pécheurs par nature et ma mission est une mission difficile. Oui! Comme il est ardu pour le prêcheur de propager l’amour de Jésus! Mais, Jésus, béni sois ton nom, j’ai été aidé dans mon entreprise par des hommes et des femmes qui m’ont donné la force de continuer malgré les difficultés.  Mais voyez plutôt ce que j’ai accompli par la seule force de la foi qui sauve! »

On arrêta le direct pour passer un documentaire retraçant l’histoire du pasteur Allwright et de sa mission évangélique. Du côté du public, on restait dans l’expectative. Puis ce fut le retour au direct: « Oui, mes amis, je suis un travailleur infatigable de Jésus, un tâcheron de la foi mais je suis avant tout un homme et comme tous les hommes, je peux faillir à ma mission. Oui! On m’accuse du péché d’adultère et je dis devant vous tous mes pairs que j’ai péché! Oui! J’ai péché! Que celui qui n’a jamais péché me jette la première pierre! »

Un silence se fit dans la salle. Tout le monde était suspendu aux paroles du pasteur et attendait la suite avec une impatience extrême. C’était comme si tout le monde assistait en direct à l’annonce de la fin du monde. « J’ai péché mais croyez bien, vous tous qui me regardez, que mon péché était un péché d’innocence, de cette innocence pure et claire du sourire des enfants... » Sa voix se fit plus douce. Il semblait affecté. « Cette femme! Oh! Je la déteste! Je l’abhore! Cette créature de satan qu’on appelle Anna Rybak a utilisé des armes impures: celles du sexe pour me corrompre. J’ai lutté avec la force, la rudesse insensée de nos aïeux mais j’étais comme paralysé. Satan m’avait envoûté. J ’étais comme enchaîné à elle par je ne sais quel philtre diabolique. Toute volonté, toute bonté, tout amour m’avait abandonné et je me voyais à mon corps défendant avoir des relations adultères contre ma propre volonté! » Le pasteur alors éclata en sanglots, des sanglots longs et sonores qui ébranlèrent la salle: « J’ai souffert! J’ai tant souffert! » gémissait-il en larmes: « C’était horrible! J’étais en face à face avec satan lui-même! » Christopher Innocent Allwright baissa la tête. La caméra filma fort à propos les larmes abondantes qui s’écrasaient doucement sur le sol du studio. 

Le réalisateur cadra alors fort adroitement sur un plan large ce qui permit à tous les téléspectateurs de voir le pasteur se redresser et hurler d’une voix assourdissante: « Mais je suis un homme de foi, un pasteur! Jésus me guide! Jésus me donne la force tous les matins de me lever aux premières lueurs de l’aube pour aller travailler! Alléluiah! Alors il y a eu un miracle mes amis! Oui! Un miracle! Le charme s’est brisé et j’ai pu repousser la femme impure! Et devant ma foi ferme de vrai Américain, le suppôt de satan s’en est allé! Alléluiah! Alléluiah! »

La foule qui assistait au prêche était au comble de l’hystérie. Elle beuglait des « Alléluiah! » en choeur avec le pasteur et si il avait voulu, il aurait pu les envoyer évangéliser Mars ou même Saturne tellement l’excitation était à son comble.

Christopher Innocent Allwright imposa alors le silence par son seul charisme et dit calmement: « Voyez-vous mes amis, le sexe est le vrai ennemi de Jésus. Jésus a-t-il eu des relations sexuelles, lui? Bien sûr que non, Jésus était chaste et pur. Il ne tolérait le sexe qu’au sein de l’institution sacrée du mariage. Alors avec moi, vous tous qui m’écoutez, crions ensemble: « Pas de sexe hors du mariage! Pas de sexe hors du mariage! » » Et la foule répétait avec ardeur et conviction: « Pas de sexe hors du mariage! Pas de sexe hors du mariage! » Le télévangéliste se faisait de nouveau plus calme et continua: « Comprenez-vous maintenant que le sexe est néfaste pour l’homme? Il lui fait perdre toute dignité, il le transforme en pourceau qui bien vite se vautre dans la fange et les excréments, il donne la paresse, la molesse, il engage à l’irresponsabilité et l’irrespect du nom de Dieu. »

Après un long moment de silence, le pasteur respira profondément et déclara d’un oeil hostile: « Il y a des gens, les libéraux de tout poil, les communistes, les athées qui sont laxistes sur les questions sexuelles. Ils croient naïvement à la liberté de chacun en ces matières. Je dis que ce sont des sots. La liberté sexuelle donne le sida, donne la pornographie, donne l’adultère, elle corrompt nos enfants... Mais nous qui sommes les vrais hommes de foi, nous nous dresserons devant ce monde meurtri pour qu’advienne le règne de Jésus et nous disons oui! Oui au mariage! Oui à la fidélité et à la chasteté! Alléluiah! Alléluiah! »

La foule applaudissait à tout rompre; certains, devant tant de foi et de fermeté, étaient proches de l’évanouissement. Christopher Innocent Allwright reprit: « En vérité, Jésus a dit que ce que Dieu avait séparé, que l’homme ne le sépare pas, tel est le destin de l’homme et de la femme, vivre et travailler ensemble, sans jamais se quitter, jusqu’à ce que la mort les sépare. »

On entendit alors le directeur de plateau dire un « coupez! » sonore et l’émission prit fin. Tandis que le pasteur s’épongeait (son prêche et la chaleur du plateau l’avaient beaucoup fait suer), Whiterspoon vint le voir pour le féliciter: « Pasteur, vous avez été brillant aujourd’hui. Quelle audace, quel brio! Vous êtes vraiment un bel orateur et... »

-Je suis surtout un ami de Jésus! Je crois en Dieu avant tout » répondit sèchement le pasteur. « Vous vous êtes admirablement défendu devant cette épreuve que Dieu vous a envoyé. Mes félicitations. Nous pouvons lancer notre ligne de produits « approuvés par Jésus » sans crainte maintenant, votre intégrité morale n’est plus menacée. »

-Heureusement qu’elle n’est plus menacée! Moi vivant, jamais je ne permettrai à satan d’entrer dans ma maison » rétorqua Allwright outré. « Maintenant laissez-moi, je dois rentrer chez moi pour passer du temps avec ma chère famille » Et ils se quittèrent de nouveau, le pasteur allant dans son foyer et Ron Whiterspoon continuant de veiller, tel un chien fidèle, aux intérêts de la holding des amis de Jésus...

Lorsqu’il rentra chez lui, il fut félicité par sa femme et sa fille pour son prêche. Curieusement, il resta peu de temps avec sa femme et sa fille pour aller s’enfermer dans son bureau. Ce que personne d’autre que le pasteur ne sut, c’est que ce temps passé au bureau le fut pour écrire une lettre dont voici le texte:

Chère Anna Rybak,

c’est vraiment fort dommage que ma secrétaire nous ait dérangé l’autre jour. Vous m’avez fait découvrir de formidables formes de plaisir que je n’avais jamais connu jusqu’alors. En effet, ma femme et moi n’avons fait l’amour que pour faire notre unique enfant, Jennifer et le soir, je puis vous assurer que je m’ennuie à mourir.

J’aime ma femme, certes, mais je me fais vieux et j’ai besoin de distraction et vous êtes la personne qui m’en avez donné le plus depuis de nombreuses années.

En espérant vous revoir bientôt.

Christopher Innocent Allwright.


La lettre fut postée le jour même.


7-Retour de flammes


Depuis quelques temps, sur le bouquet satellite AmericaFirst, on pouvait voir cette publicité plusieurs fois par jour: en plein air, dans un décor champêtre, au milieu d’un troupeau de moutons, un femme blanche au physique neutre et habillée de blanc se brossait les dents tout en souriant (ce qui n’est pas facile). Pendant ce temps, on pouvait entendre: « Le dentifrice Dillon est un dentifrice qui a quelque chose en plus. Non content de vous garantir une haleine fraîche, des gencives saines et des dents en bonne santé, le dentifrice Dillon est composé à 5% d’eau bénite ce qui fait qu’en vous brossant les dents, vous contribuez à répandre le message de Jésus. Alors, si vous voulez marier l’hygiène de vos dents et votre foi en Jésus, achetez sans compter le dentifrice Dillon. Dentifrice Dillon, et vos dents retrouvent la foi! » Puis on voyait le dentifrice en gros plan avant que n’apparaisse un logo symbolisant un Jésus souriant avec le slogan: « Le dentifrice Dillon est approuvé par Jésus. »

« Ce satané protestant va encore gagner des millions avec ça! » s’écria le professeur Manieri en éteignant la télévision. « Si nous ne réagissons pas, ce damné télévangéliste va nous piquer nos ouailles! »

-Servum pecus, répondit le cardinal Metzger, cet homme manie les outils de communication bien mieux que nous!

Pendant que les deux acolytes regardaient Jean-Paul II flotter dans sa bulle, on entendit quelqu’un frapper à la porte. « Entrez! » fit le cardinal d’une voix forte. Une religieuse entra, baisa la bague du cardinal et la bulle en plexiglas du pape. Puis elle enleva sa cornette pour révéler un sublime visage de blonde incendiaire. « Alors, soeur Anna Rybak, quel est votre rapport? » Elle répondit: « J’ai fait ma mission avec foi et dévotion mais j’ai bien peur que notre pasteur, en mentant honteusement, ait retourné la situation. »

-Vous avez fait de votre mieux, soeur Anna, reprit le professeur Manieri. Puis, se tournant vers le cardinal: « Mais il va falloir que nous trouvions une autre solution pour mettre hors d’état de nuire ce charlatan. »

-Par Saint Michel! Nous allons devoir nous y prendre autrement.

-Et si nous demandions à notre Sainteté le pape Jean-Paul, peut-être a-t-il la solution, fit soeur Anna.

Tous trois tournèrent la tête vers la papabulle. Jean-Paul II flottait tranquillement dans sa bulle dans un état de béatitude digne de Moïse revenant du mont Sinaï avec les tables de la Loi. Comme d’habitude, il ne pipait mot.

« Vous avez tout à fait raison, votre Sainteté, fit le cardinal, il est plus difficile à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille. Ses richesses le perdront comme elles ont perdu les adeptes du veau d’or! »

-Mais en attendant, il se fait encore plus puissant que le roi Hérode! Nous nous devons de réagir! Disait le professeur Manieri en colère. Et il continuait: « En attendant, il nous faut améliorer notre image: les catholiques sont dépassés, tous les observateurs le disent. Tâchons de prendre le contrôle des médias que nous pourrions acheter et faisons leur faire des articles en notre faveur, c’est le minimum. »

-Oui, mais pour cela nous avons besoin d’argent et nous sommes ruinés depuis que nous avons joué toutes nos économies en bourse il y a quelques années en investissant dans les industries des télécommunications qui ont actuellement de grosses difficultés financières. Que le Seigneur, dans son infinie miséricorde nous vienne en aide!

Anna Rybak, qui suivait la conversation jusque là sans mot dire, osa une réplique: « On pourrait peut-être vendre la Sainte Mître, elle ne sert plus à rien depuis que notre Très Saint Père Jean-Paul est dans sa bulle... »

-Vous n’y pensez pas, répondit le cardinal Metzger, la Très Sainte Mître! Par Saint Antoine, c’est un blasphème!

Le professeur Manieri prit la parole: « Le mieux serait de demander à qui de droit » Puis, se tournant vers Jean-Paul II: « Très Saint Père, acceptez-vous que nous vendions votre Très Sainte Mître afin d’acheter quelques multinationales des médias? »

Le pape flottait tranquillement dans sa bulle quand il se dirigea en nageant vers son clavier de communication et commença à écrire. Tout le monde se pencha vers l’écran pour lire les saintes paroles: « La seule... »

-Ooh! firent les trois acolytes.

Le pape continuait: « La seule philosophie de la liberté... »

-Aah! continuaient les trois compères. Et sur l’écran on pouvait lire: « La seule philosophie de la liberté c’est la vérité de la croix du Christ. »

-Mais c’est ce que vous avez dit le 15 Août 2002 à Cracovie devant deux millions de Polonais! S’exclama Soeur Anna Rybak.

-Vox papa, vox Dei ! Dit le cardinal Metzger les yeux au ciel.

-Je ne vois pas le rapport avec la mitre, fit le professeur Manieri.

Pendant ce temps, Jean-Paul II continuait de flotter dans sa bulle avec un sourire béat, comme un enfant qui vient de commettre un petit forfait. « Remarquez, il n’a pas dit non » dit le professeur

-Il n’a pas dit oui non plus, lança le cardinal.

-Je crois que le Très Saint Père se moque qu’on vende sa mitre, il n’en a tout simplement pas besoin, se risqua Soeur Anna.

-Vendu! s’exclama le professeur.

-O tempora! O mores! Nous vivons une époque bien triste pour l’église de Rome! Vendre la Sainte Mitre! Par Saint Pierre, quelle abomination!

-Nous n’avons pas vraiment le choix, répondit le professeur Manieri, pensons plutôt à tous les médias que nous allons pouvoir acheter.

-Vous avez raison, reprit le cardinal un peu plus optimiste, regardons le futur et pas le passé.

Là dessus, Soeur Anna prit congé des deux hommes qui passèrent le reste de la journée à organiser les modalités de la vente de la mitre...


8-Une faille innatendue.


C’était un matin comme les autres au Jésuscenter de Cleveland, chacun vaquait à ses occupations quotidiennes: Herbert, le gardien, faisait ses rondes, la secrétaire, madame Hollyfield, s’occupait tranquillement du courrier et Whiterspoon, mû par un zèle sans failles, coordonnait l’enquête sur les causes de la tentative de mort médiatique du pasteur Christopher Innocent Allwright. C’est d’ailleurs lorsqu’il se trouvait dans son bureau qu’il reçut un coup de fil de son ami d’enfance, Dean Moriarty, actuellement gros bonnet de la CIA: « Allo, Ron? C’est Dean! »

-Salut Dean! Fit Ron Whiterspoon d’un ton enjoué, tout heureux de discuter avec une de ses meilleures connaissances.

-Je t’appelle car j’ai un renseignement sur ce que tu m’avais demandé qui pourrait bigrment t’intéresser.

-Ah oui? Sur quoi?

-C’est sur Anna Rybak, la bonne soeur qui a fait du harcèlement sexuel sur ton patron. On a des infos sur elle!

-Lesquelles?

-Ce n’est pas une secrétaire, mais ça alors pas du tout. On a sa bio.

-Raconte...

-Eh bien, en fait c’est une bonne soeur!

-Une bonne soeur!

-Oui, une bonne soeur! Elle est actuellement membre de la congrégation des dévotes de la vierge Marie. Mais avant, c’était une prostituée. Elle est entrée dans les ordres quand elle a guéri du sida après un pèlerinage à Lourdes. Elle est très liée avec le cardinal Metzger, un fidèle d’entre les fidèles du pape. A mon avis, cette soi-disante secrétaire est un petit cadeau que ce vieux schnock de pape vous a envoyé. Je t’envoie tout par fax.

-Merci de me le dire. Je te revaudrais ça.

-A bientôt, Ron.

-Au revoir, Dean

Et ce fut tout. Whiterspoon déboula sans attendre dans le bureau du patron: « Pasteur Allwright! Pasteur Allwright! Le viol que vous avez subi!C’est un coup monté! On a les preuves!

Le pasteur, qui était tranquillement en train de rédiger son prochain prêche, répondit d’un ton énervé: « Mais calmez-vous Whiterspoon! Et par Jésus, cessez de me déranger lorsque j’élabore la divine parole que je vais déverser sur les téléspectateurs dimanche prochain!

-C’est important, pasteur. J’ai des informations sur la femme qui vous a violé: c’est un coup du Vatican!

-Un coup du Vatican! Comment cela est-il possible?

-C’est un bonne soeur en réalité, elle a été mandatée par le pape pour vous pervertir et vous discréditer aux yeux du monde!

-Mais c’est ignoble! Comment peut-on oser?

-Tout à fait, pasteur Allwright, comment peut-on oser tenter de corrompre un homme comme vous, si simple, si droit!

-Damnés Catholiques! Je me vengerai!

-Vous avez tout à fait raison, de tels agissements ne méritent pas la pitié!

-Croyez-moi, Whiterspoon, je ne vais pas les rater dans mon prochain prêche!

-C’est bien, monsieur le pasteur, votre verve est encore intacte.

Ils prirent congé l’un de l’autre. Puis Ron Whiterspoon se rendit à la salle de pause pour prendre un petit café avant de retourner à son bureau. Une fois dans la salle, il alluma la télévision afin de se détendre un peu; c’était l’heure des informations: « Bonsoir chers télspectateurs, disait un présentateur propre sur lui et portant un costume impeccable; les pompiers de la région de Chicago ont découvert ce matin une vieille dame morte mangée par ses chats. Elle avait disparu depuis quatre jours. C’est une voisine qui a donné l’alerte. Les pompiers l’ont découverte en état de putréfaction avancée à moitié mangée par ses animaux domestiques préférés, une quinzaine de chats qui vivaient avec elle depuis de nombreuses années déjà. Un reportage de Jack Strawberry. »

« Putain de monde pourri, se disait Ron Whiterspoon, personne ne parle plus à personne » Pendant ce temps, les infos continuaient: « Vive réaction à la chambre des représentants où le ministre de la défense a décidé de reprendre le programme nucléaire. Des échanges très vifs ont eu lieu entre l’opposition et la majorité. info suivie par Deborah Leclair. » Whiterspoon se disait que si la loi passait, avec l’uranium Centrafricain, la holding Allwright allait gagner encore plus d’argent, surtout s’ils signaient un contrat avec le département d’état.

Le présentateur continuait d’égrener sa liste des nouvelles du jour: « Et maintenant, les informations du monde! Le pape Jean Paul II prépare une série de voyages apostoliques qui le mèneront aux quatre coins du monde, il se rendra en Octobre aux Phillippines, en novembre dans plusieurs pays d’Afrique dont la Centrafrique, pays martyr ayant connu récemment la guerre civile. »

« En Centrafrique, se dit Witerspoon, bon sang mais c’est bien sur! » Il quitta la salle de pause et alla directement dans son bureau pour téléphoner à Dean Moriarty: « Allo, Dean? »

-Ron, c’est toi?

-Oui. Dis donc, j’ai besoin de ton aide. J’ai une idée à te soumettre qui peut nous faire gagner beaucoup d’argent.

-Parle donc, Ron...


Le soir même, le pasteur Allwright rentrait chez lui comme à son habitude mais ce soir n’était pas un soir comme les autres: c’était le dernier qu’il passait avec sa fille avant que celle-ci n’aille à Rome pour étudier la théologie à l’université Saint Thomas d’Aquin. « Je t’ai fait du poulet frit, mon chéri » gloussait Barbara tandis que Jennifer était encore en train de préparer ses affaires. Elle arriva enfin, souriante: « Bonsoir papa! » Fit-elle en l’embrassant tendrement. « Bonsoir ma chérie » fit le pasteur avec un sourire crispé. Ils passèrent à table. Christopher Innocent Allwright dit solennellement les grâces comme à son habitude puis tous trois commencèrent le poulet frit accompagné de frites. « Je suis tout exitée de partir pour Rome ce soir mais j’ai un peu de peine aussi, fit Barbara, je vais vous quitter et désormais ma vie ne sera plus comme avant. »

-Ne t’inquiète pas ma grande, répondit Barbara d’un ton protecteur, nous sommes très contents pour toi. Tu vas voir le vaste monde!

-Et tu en sauras plus sur le Seigneur là-bas! Coupa le Christopher Allwright. Prions Dieu notre seigneur pour que tes études à l’étranger te rendent plus proche de Jésus.

Ils prièrent chacun silencieusement. « Amen » firent-ils tous l’un après l’autre. Puis ils se prirent mutuellement dans les bras: « Tu vas nous manquer », fit Barbara au bord des larmes. « Tâche de bien travailler là-bas », renchérit le pasteur d’un ton affectueux.

Ils se remirent à manger leur poulet-frites puis passèrent au dessert: une charlotte aux framboises surgelée. Tout en mangeant, ils parlaient de choses sans importance et décidèrent de partir pour l’aéroport immédiatement après. Le lendemain matin, Christopher Innocent Allwright se sentit curieusement seul lorsqu’il partit travailler...


9-Des voyages périlleux.


Quelques mois plus tard, tandis qu’à Cleveland les affaires du pasteur prospéraient lentement mais sûrement, ce dernier reçut une lettre de Rome signée de sa fille Jennifer:

«Cher papa,

tout va bien à l’université où je rencontre des tas de séminaristes passionnants. Je participe à des groupes de discussion sur la foi, je fais des veillées de prière, j’assiste à des messes de toutes confessions, je visite un peu la ville… Tu devrais voir Rome, papa ! C’est magnifique ! Tout dans cette ville respire le romantisme, la gaieté, l’amour ! Quoi de plus beau que de prendre un chocolate dans un caffe !

Récemment, j’ai rencontré un homme Catholique très haut placé dans la hiérarchie avec lequel je passe beaucoup de temps. Il est formidable ! Avec lui, j’ai l’impression que Jésus est tout proche, là, en chacun de nous. Si tu savais comme je l’aime ! Nous passons des heures à discuter des différences doctrinales entre catholiques et protestants, nous chantons des cantiques, lisons et expliquons la bible… Je passe des moments merveilleux !J’aimerai tant que tu le rencontres, vous vous entendriez très bien, j’en suis certaine.

Embrasse bien maman pour moi.

Jennifer.  »

En lisant ces mots, Christopher Innocent Allwright sentit de la fureur monter en lui : comment sa propre fille pouvait s’amouracher d’un dignitaire Catholique ? Qu’avait-elle dans le cerveau pour ne pas voir que les catholiques sont à la foi ce que les primates sont aux hommes ? Ce qu’il avait lu ne lui plaisait pas du tout et il se maudissait de sa propre faiblesse qui était d’avoir laissé partir sa fille pour cette Europe débauchée et futile. Il décida d’aller en parler à sa femme tout de go…


Sur le tarmac de l’aéroport de Bangui, le jet du Vatican se posa sans encombres devant une foule enthousiaste de plus de cent mille personnes. Les femmes chantaient de sonnants et entraînants gloria en langue vernaculaire, les hommes applaudissaient à tout rompre en hurlant des slogans à la gloire de Dieu et de Jean-Paul II. Quand celui-ci descendit de la soute à bagages, la foule, déjà hystérique, exulta en louanges pour le Seigneur. De la fenêtre de l’avion, le cardinal Metzger et d’autres ecclésiastiques de haut rang s’extasiaient non sans inquiétude devant la ferveur populaire : « J’espère qu’ils ne vont pas abîmer la Papabulle de par leur foi simple de paysans sous-développés ! » s’écria le cardinal dans l’assentiment général.

Pendant que les dignitaires descendaient pour se faire accueillir par le président Prosper Ganro en personne, la papabulle vint se ranger sagement à côté de ces messieurs et, après les salutations d’usage, tout ce petit monde monta dans des limousines pour faire le tour de Bangui en voiture et se baigner, le temps du trajet, dans la liesse populaire.

Bien entendu, la Papabulle, au centre du cortège officiel, était la cible de toutes les démonstrations de joie. A son passage, on chantait des cantiques, du gospel, on faisait des danses traditionnelles en costume chamarré, on récitait des prières enflammées, bref, on saluait l’évêque de Rome avec force ferveur démonstrative.

Lorsqu’on fut près du palais présidentiel, l’excitation était à son comble ; tout le monde voulait toucher la Papabulle, s’approcher du saint homme dans le secret espoir d’être béni par lui. Les soldats de la garde présidentielle avaient un mal fou à protéger Jean-Paul II de ses admirateurs et l’on voyait au sourire du souverain pontife que malgré son état de santé très précaire, qu’il était heureux d’être là au milieu des Centrafricains.

Ce que personne ne voyait, c’est que du haut de la tour Amatomium, Freddy Lanfranchi ajustait son fusil à lunettes dont la cible était ce Jean-Paul II que tout le monde en Centrafrique semblait aimer. Freddy Lanfranchi était un excellent tueur à gages mais ce jour, il avait beaucoup de mal à viser sa cible car le pape, qui flottait, bougeait constamment. Enfin, au bout d’une demi-heure d’efforts, il parvint à mettre le pape en joue et tira calmement une seule balle. Il eut juste le temps de voir la Papabulle se remplir de sang avant de fuir vers le point de rendez-vous convenu avec ses employeurs, des hommes au costume impeccable qui parlaient avec l’accent Américain…

Lorsque la balle toucha Jean-Paul II, ce fut la panique la plus totale. La foule devint incontrôlable. Certains s’enfuyaient, pris de panique, d’autres restaient hébétés, ne sachant plus que faire, certains enfin tentaient d’aider le pape en se rapprochant de la Papabulle. La garde présidentielle, prise au dépourvu, tira en l’air des rafales de mitraillette pour calmer la foule ce qui fit que les gens s’enfuirent dans toutes les directions dans une panique indescriptible. L’équipe des médecins pontificaux se précipita au chevet du pape, suivis de près par les journalistes et les officiels qui voulaient tous savoir ce qui en était.

On sortit le défibrilateur et tous les outils qu’avait inventé la médecine moderne mais c’était déjà trop tard : le pape, touché en plein coeur, était mort et cette fois définitivement. Après que l’équipe des médecins pontificaux eut confirmé la mort de Jean-Paul II, les officiels Romains et Centrafricains, unanimes, décidèrent de mettre le corps dans une chapelle ardente dans la cathédrale de Bangui pour que tous ceux qui le souhaitaient puissent se recueillir avant qu’il ne soit transféré à Rome. On décida aussi d’ouvrir une enquête pour punir les auteurs de cet acte abominable.

Pendant trois jours et trois nuits on accourut de toute l’Afrique et même du reste du monde pour rendre un dernier hommage à Jean-Paul II, le pape voyageur, mort durant sa mission apostolique. Dans le monde entier, les médias saluèrent cet artisan de paix à la foi inébranlable et il ne se passait pas une heure sans qu’un envoyé spécial en direct de Bangui ne fasse son reportage depuis la chapelle ardente. Enfin, la dépouille fut renvoyée à Rome : on pouvait maintenant enterrer le souverain pontife en grande pompe.

On ne lésina d’ailleurs pas sur les moyens le jour venu : le budget annuel du Togo fut englouti rien que pour la messe mortuaire en la Basilique, ce à quoi il fallait ajouter les frais de sécurité, d’accueil et des pompes funèbres, sans oublier le cercueil en acajou sculpté et poignées en or massif.

On fit venir les chœurs les plus réputés pour chanter des requiem à n’en plus finir, on organisa des veillées de prière partout dans le monde pour demander aux saints d’intercéder auprès du Seigneur pour le très regretté Jean-Paul, on fit dire des messes des messes et encore des messes à la mémoire du Très Saint Père et une commission de cardinaux déposèrent un dossier pour une demande de béatification. Enfin, tout Rome se prépara à accueillir trois millions de catholiques venus témoigner de leur profonde tristesse devant la mort violente de ce si grand homme de foi.

C’était d’ailleurs peu après la cérémonie, alors que la foule n’était même pas partie, que le cardinal Metzger et le docteur Manieri discutaient de savoir qui allait succéder à Jean-Paul II pour devenir le nouveau souverain pontife.

« On pourrait élire un vieux con » fit le docteur au cardinal. « Il le sont presque tous, des vieux cons », répondit le cardinal.

-Alors pourquoi pas vous, s’écria le docteur, vous êtes cardinal, donc éligible, après tout ?

-Etre pape, jamais ! Je n’ai pas envie de faire le guignol de par le monde en bénissant la plèbe à longueur de journée et tout ça pour le decorum ! Entre les honneurs et la liberté, je préfère la tranquillité.

-Alors élisons un jeune !

-Peut-être, un jeune, c’est plus malléable qu’un vieux et puis ça passe mieux à la télévision.

-Et vous n’en connaissez pas un de bien ?

-Oui, j’en connais un ou deux… Il y a Juan Salazar, un tout nouveau cardinal de mes amis, la quarantaine, propre sur lui, obéissant… Il est en ce moment à Rome, il a les capacités pour devenir le futur pape et en plus il a une vie irréprochable. Ad augusta per angusta !

-Eh bien voilà, c’est plié !

-Je vais de ce pas en toucher deux mots au conclave ! La fumée blanche devrait sortir assez rapidement si mes amis cardinaux sont d’accord.

Et le cardinal Metzger prit congé de son acolyte pour aller intriguer en faveur de Juan Salazar.

Deux semaines plus tard, une fumée blanche sortit de la cheminée de la basilique Saint Pierre de Rome. C’était le signal : un nouveau pape était appelé à régner tel le berger sur le docile troupeau des catholiques. « habemus papam » s’écria la curée. Et devant la foule enthousiaste, Juan Salazar, devenu Jean Paul III bénit pour la première fois son troupeau de fidèles, le 14 Avril 2009.

La cérémonie d’intronisation fut une des plus dispendieuses qu’on ait vu depuis bien longtemps. On refit broder une nouvelle robe pour l’occasion, ainsi qu’une nouvelle étole toute en fils d’or. Comme la Très Sainte Mitre avait été vendue, on en fit refaire une à grands frais, dans les matériaux les plus luxueux qu’on avait pu trouver. On invita tous les dirigeants de la planète à l’occasion et les chœurs les plus réputés vinrent pour l’occasion chanter des « Alleluiah », des « gloria » ainsi que des « kirye eleison » comme on n’en avait pas entendu depuis des lustres. Bien entendu, la place Saint Pierre était noire de monde, des fidèles venus de tous les pays se pressaient pour voir le nouveau souverain pontife. Dans la foule en délire, on pouvait voir des banderoles dans toutes les langues sur lesquelles était écrit des slogans tels que « Jean-Paul III, notre nouveau berger de paix », « Le mystère de la Sainte Trinité inspire notre nouveau pape » ou encore « Just bless it, John-Paul ! »

Après la cérémonie religieuse, le nouveau pape se mit au balcon de la basilique pour son premier discours au peuple et ce, devant les cris de joie de la foule enthousiaste. Ce fut un véritable déluge d’applaudissements lorsqu’il apparut dans ses habits officiels. On eut dit un ange céleste tout vêtu de blanc et d’or venu annoncer aux nations la rémission des péchés. Jean-Paul III, alias Juan Salazar était un homme assez grand, à l’air plutôt pimpant, qui, s’il n’était pas revêtu d’un accoutrement folklorique, avait le physique jeune et sportif d’un présentateur météo sur une chaîne satellite.

Il s’approcha du micro et commença son discours : « Que Dieu bénisse le monde ! » La foule répondit par une salve d’applaudissements nourris. « Que Dieu nous bénisse tous en ce jour nouveau pour l’Eglise de Rome ! » Parmi les fidèles, c’était un délire indescriptible. « Oui, mes frères, nous sommes catholiques et j’ai été élu en tant qu’évêque de Rome par mes pairs pour conduire le troupeau des fidèles à travers le 21ième siècle comme tant d’autres, à commencer par le très regretté Jean-Paul II, l’ont fait avant moi ! Une question nous vient alors à l’esprit nous qui sommes des hommes de foi. Comment être catholique en ce monde moderne, comment suivre les préceptes des évangiles à l’époque des navettes spatiales et du téléachat ? » La foule se faisait plus dubitative, mais elle applaudissait tout de même. « La réponse est simple : en nous faisant nous-même des montagnes de vertu, en devenant des exemples vivants de sainteté. Nous n’avons qu’une question à nous poser : comment vivrait le Christ à notre époque ? Nul doute que le Christ mènerait une vie saine, loin des tentations de la société moderne. Le Christ ne fumerait pas, il ferait du sport, il ne dirait pas de gros mots et respecterait autrui comme lui même. Mes très chers frères, le Christ, s’il revenait sur terre, serait horrifié par la superficialité du monde moderne, par son inhumanité et son côté mercantile. Si le Christ revenait, il aiderait les vieilles dames à traverser la rue, il serait gentil avec les enfants et respecterait le code de la route s’il avait à conduire une automobile ! Nul doute aussi qu’il mangerait bio et qu’il donnerait un petit quelque chose pour la lutte contre le cancer ! Car voyez-vous mes très chers frères, le Christ est notre exemple et notre soutient dans tous les moments de notre vie car c’est lui qui a vaincu la mort à Jérusalem et qui est assis à la droite du Père où il connaît la félicité de la vie éternelle… Vous aussi, vous voulez la vie éternelle, n’est-ce pas ? » La foule criait des « oui ! » à n’en plus finir. « Eh bien il nous faut suivre la voie qu’a tracé le Christ en menant une vie saine et tranquille, basée la gentillesse au quotidien, le dévouement et le respect des règles ! » Dans la foule, on applaudissait à tout rompre. Jean-Paul III continua en levant une bible vers le ciel : « Acclamons la parole de Dieu ! » Les gens répondirent : « Louange à toi Seigneur Jésus ! » Il déposa la bible sur un lutrin. Un cardinal s’approcha et commença la lecture de l’évangile selon Saint Jean. Depuis la place Saint Pierre, la foule vit le souverain pontife disparaître : il venait de finir sa première apparition publique.

Laissant la cérémonie continuer sans lui, il s’éclipsa en direction de ses appartements privés, prétextant qu’il avait besoin de se reposer. Une fois dans ses appartements privés, il prit une petite porte dérobée qui donnait sur un couloir qui débouchait sur une bibliothèque de livres anciens où quelqu’un patientait. La personne qui l’attendait était une femme d’environ 1 mètre 90, au visage carré et à la mâchoire proéminente : Jennifer Allwright. Lorsque Jean-Paul III apparut, Jennifer se pendit à son cou en disant sur un ton amoureux : « Mon amour, ton discours s’est bien passé ? »

-Oui, répondit Jean-Paul III, ça fait un drôle d’effet d’être pape.

-Que tu sois pape ou clochard, je t‘aimerai toujours, Juan

-Moi aussi, je t’aime. Je t’aime avec la même ferveur que Saint Théodule !

-Et moi je t’aime avec l’abandon de Sainte Thérèse de l’enfant Jésus !

Ils s’embrassèrent tendrement. Puis Jennifer se détourna et dit : « Mais comment allons-nous faire pour nous aimer alors que tu as fait vœu de chasteté ? » Elle prit sa respiration et dit d’un ton déséspéré : « Je t’aime mais notre amour est impossible ! » Jean-Paul III la regarda fixement puis lui dit l’air serein : « Ne t’en fais pas, ma belle Jennifer. L’amour est plus fort que toute force au monde, si nous nous aimons, alors rien n’est impossible ! Et puis je suis pape maintenant, c’est moi le big boss, je peux faire ce que je veux. Si je le voulais, je pourrai faire en sorte que nos moines et bonnes-sœurs prêchent l’amour par l’exemple ou je ne sais quoi encore. Alors ne nous inquiétons pas et continuons de nous aimer sans craindre la folie des hommes. »

-Tu pourrais au moins faire en sorte que cesse le célibat des prêtres, c’est une coutume d’un autre temps.

-Ou je pourrais démissionner, renoncer à ma mission ! Fit Jean-Paul III les yeux au ciel.

-Embrasse-moi, Juan , tu es si beau dans tes vêtements pontificaux !

Et ils s’embrassèrent longuement.


10-Retour à Cleveland


Après une dure journée passée à administrer sa holding, Christopher Innocent Allwright méditait sur l’absence de sa fille partie étudier en Italie depuis septembre dernier quand sa femme lui annonça que le dîner était servi : elle avait fait du poulet frit. « Béni soit le seigneur qui m’a donné une femme si gentille qui sait faire admirablement le poulet frit ! » Pensait machinalement le pasteur. Il décida de se servir un scotch. Ce fut en se baissant pour ouvrir le bar qu’il vit ses plaques d’identité du temps qu’il était militaire. « Je suis un vrai patriote, se dit-il, pas un planqué qui vit de l’aide sociale ! » Il chercha la bouteille de scotch qui se soustrayait à ses recherches. Il la trouva enfin. En se retournant il se trouva alors nez à nez avec une photo de lui et Barbara devant la maison blanche à Washington du temps qu’ils étaient jeunes mariés. Ce fut un déclic pour le pasteur « Bon sang mais c’est bien sûr ! » Dit-il tout haut. Barbara, qui avait mal entendu, répondit : « Tu veux de l’aspirine, chéri ? » « Bon sang mais c’est bien sûr ! » Continua Christopher Innocent Allwright d’une voix forte

-Mais qu’y a-t-il mon chéri ? Tu es malade ?

-Non Barbara, ce soir est un grand soir !

-Un grand soir ? Fit Barbara étonnée. C’est un soir comme tous les autres !

-Non Barbara, ce soir est un grand soir. Le Seigneur m’a inspiré ce soir, j’ai rencontré mon destin. J’ai une mission maintenant, une mission divine !

-Tu vas repartir en Centrafrique, mon chéri ?

-Non Barbara, dorénavant mon destin est national !

-National ?

-Dieu m’a parlé à l’instant. Mon pays a besoin de moi. Je suis le seul qui peut lui redonner foi en lui-même, à sa force, sa grandeur !

-Mais enfin, de quoi parles-tu ?

-Président, ma chérie, voilà ma mission : je dois être élu par mes concitoyens pour redonner la foi en Jésus à mes compatriotes.

-Mais tu n’as pas assez de tes émissions à la télé ?

-Je dois faire plus, toujours plus pour Jésus, car c’est lui qui me guide et me donne la force tous les matins. Avec la présidence, je peux légiférer et plus seulement communiquer. Et je gouvernerai pour la plus grande gloire de Jésus !

-C’est très bien mon chéri, mais vient manger ton poulet frit, ça va refroidir !

Ils se mirent à table. Le pasteur était tout excité par la nouvelle mission que Dieu lui avait confié. Il prit deux fois du poulet, pria longuement à la fin du repas en demandant à Dieu de lui donner la force de guider le peuple américain et aussi le monde vers une destinée plus conforme à la volonté du Seigneur. Il s’y voyait déjà et, alors que Barbara était en train de débarrasser, il se saisit d’un papier et commença à tracer les grandes lignes de son programme : prière obligatoire dans les écoles, suppression des subventions aux associations de planning familial prônant l’avortement, baisses d’impôts généralisées, création de nouvelles unités militaires de conversion des étrangers par les armes, subventions publiques aux écoles privées protestantes, invention d’un ministère du royaume du Seigneur et bien d’autres choses encore.

Le soir dans son lit avec sa femme, il eut du mal à s’endormir. Voyant cela, sa femme lui dit : « Ca ne va pas mon chéri ? »

-Je n’arrive pas à dormir. C’est dur d’être dans la course pour la présidence.

-Tu n’y es pas encore, garde ton calme.

-Prions le Seigneur.

Ils prièrent Dieu de lui accorder la magistrature suprême. Deux heures plus tard, Christopher Innocent Allwright réussit enfin à s’endormir. Il fit des rêves de gloire présidentielle toute la nuit.

Le lendemain matin, en se rendant à son travail, le pasteur Allwright réunit son conseil rapproché afin de leur faire part de sa décision. Whiterspoon, qui était assis à la droite de son patron lui dit : « Mais c’est divin, monsieur Allwright, votre destinée prend un tournant grandiose ! Vous avez plus qu’un rôle national maintenant, vous avez un rôle historique ! Pour le patron, hip hip hip hourra ! »

Tous applaudirent en chœur la décision du pasteur. C’était décidé dorénavant, c’était la présidence ou rien.

En sortant de la réunion, Ron Whiterspoon se demanda ce qu’il pourrait bien faire pour aider son patron présidentiable. Il téléphona à son vieil ami Dean Moriarty : « Allo, Dean ? »

-Ah ! Salut Ron, comment ça va ?

-Bien, ma foi.

-Que me vaut ce coup de fil ?

-C’est à propos de mon patron, il se présente pour la présidentielle de 2010

-Nous serions ravis à la CIA d’avoir pour boss un homme de la trempe de ton directeur, par sa foi seule il peut redresser le pays et mener notre terre et même le monde vers une destinée plus que brillante !

-Tout à fait. Mais je voudrais savoir, que pouvez-vous faire chez vous pour nous aider ?

-Ne t’en fais pas, ton patron a les armes pour l’emporter : un réseau satellite pour lui tout seul, beaucoup d’argent et une grande foi. C’est suffisant. Mais bon, si on peut l’aider, on le fera. En discréditant ses adversaires ou en menant des campagnes de presse à son avantage, mais d’abord il faut que j’en touche un mot à notre patron.

-Et il sera d’accord ?

-Mon patron est baptiste comme notre pasteur, il admire beaucoup Allwright, ce ne devrait pas être trop difficile. On pourra peut-être même organiser une rencontre de travail pour coordonner nos forces.

-On reste en contact ?

-Pas de problème, je te rappelle demain.

-A bientôt Dean.

-Salut, Ron.

Ils se séparèrent.

Les jours qui suivirent furent des jours d’intense travail au Jesuscenter de Cleveland. Des groupes d’amis de Jésus furent chargés de coordonner les récoltes de fonds, organisations de meetings, contacts des lobbies et autres occupations nécessaires à une campagne présidentielle. Christopher Innocent Allwright décida de se lancer officiellement dans la course lors de la prochaine session de « Jésus en direct ». Whiterspoon, de son côté, coordonna la campagne de presse qui devait porter le pasteur aux nues.

Enfin, on en fut au dimanche, jour de « Jésus en direct ». C’était une retransmission comme les autres, la routine pour toute sa fidèle équipe mais il voyait aux mines concentrées des cameramen et des autres employés que l’heure était grave pour toute sa petite troupe : du comportement de leur patron pouvait découler un futur radieux en tant qu’équipe de tournage présidentielle car ils le savaient tous, Christopher Innocent Allwright avait entrepris quelque chose et quand cet homme là entreprend, tous ceux qui le suivent, ses amis et collaborateurs, tous ceux qui le soutiennent depuis le début allaient être récompensés d’une manière ou d’une autre. Ce fut d’ailleurs sa plus ancienne compagne de route, Jacqueline Hollyfield qui vint le chercher dans sa loge pour le début de l’émission.

Le pasteur sortit d’un pas décidé et tout en saluant de la main ses amis, alla se placer devant la caméra tout comme il le faisait depuis des années déjà. Le réalisateur fit le décompte final et le discours d’investiture commença :  « Mes chers compatriotes, commença d’un ton grave Christopher Innocent Allwright, nous remarquons tous que les choses vont de mal en pis dans notre beau pays. La drogue, la prostitution, la pauvreté se répandent à une allure vertigineuse. Jésus semble nous avoir abandonné. » Il se raidit soudain : « Mais tout espoir n’est pas permis mes frêres car Jésus est là, partout autour de nous ! Alléluiah ! » Il reprit plus calmement : « Oui, l’heure est grave mes amis, les athées, les libéraux de tout poil nous font croire en une société athée d’où Dieu est absent. Ils nous disent : « Ce qui compte, c’est l’homme ! » Ils nous disent : « Laissez-les libres de faire ce qu’ils veulent ! » Nous disons non ! Non au laxisme ! Non au laisser-aller ! Si nous voulons conserver le leadership au sein de notre grande nation nous devons nous mettre debout ! » Sa voix se fit plus ténue : « Mais, direz-vous, pourquoi se battre ? Pourquoi lutter ? Mais parce que nous voulons une vie meilleure pour les gens de ce pays ! Oui nous voulons une vie digne pour tous ! Alléluiah ! » La foule, d’abord indécise, semblait maintenant opiner de la tête. Il continua : « Moi, Christopher Innocent Allwright, j’ai annoncé la parole de Dieu partout dans le monde et j’ai prié et je prie encore pour le bien être de tous les êtres humains à commencer par vous mes chers compatriotes. J’ai prêché dans tous les coins les plus reculés de l’Ohio, de la Virginie, du Michigan et dans bien d’autres endroits d’Amérique et qu’ai-je vu ? J’ai vu des gens qui étaient malheureux, tristes, désespérés parce qu’ils ne croyaient plus dans le Seigneur. Ils avaient perdu la foi en Jésus. Ils ne savaient pas que c’est Dieu, béni soit son nom, qui nous donne la force de vivre ! Une nation qui croit est une nation heureuse car Dieu, lui, donne le bonheur ! » Le pasteur fixa la caméra droit devant lui : « Il nous faut donc fortifier la croyance en Jésus dans ce pays car c’est elle qui donne le bonheur. Mais le bonheur, de nos jours, ce ne sont pas que des cantiques chantés dans la fraîcheur d’un matin de printemps ! C’est aussi une situation stable, un vrai travail, un foyer où dormir, une femme sur qui compter et comment avoir tout ça ? » Il devint presque hystérique : « En ayant la force de se lever tous les matins en se disant : « J’en ferai plus qu’hier et moins que demain ! » Oui, le bonheur s’obtient en se remettant en question tous les jours et en se disant : «Je me donnerai pour mon job ! Je me donnerai pour ma femme ! Je me donnerai pour mes enfants ! » Et qu’est-ce qui donne cette force de croire en soi et à sa réussite ? C’est la foi ! Oui, la foi en Jésus notre sauveur ! Alléluiah ! Car rien n’est impossible à celui qui croit au Seigneur ! En vérité je vous le dis la foi soulève les montagnes et si Dieu veut que nous l’ayons tous nous bâtirons un monde meilleur basé sur l’exemple de Jésus ! Alléluiah ! » Maintenant, la foule applaudissait. Le pasteur attendit quelques instants que la ferveur populaire se calme puis reprit : « Et moi, Christopher Innocent Allwright, je me présente à la présidence des Etats-Unis d’Amérique afin de faire de notre un pays un pays de foi et d’opulence ! Je suis le candidat de la foi ! Je suis le candidat de Jésus ! Alléluiah ! » Dans la salle, c’était du délire : les spectateurs applaudissaient à tout rompre. Le clergyman partit se reposer dans sa loge : son discours l’avait fatigué.

Le lendemain matin, le pasteur se réunit avec son équipe restreinte de campagne : Jacqueline Hollyfield, sa secrétaire de direction, Ron Whiterspoon ainsi que Burt Annegarn et Luke Armstrong, deux de ses plus anciens collaborateurs, de ceux qui l’accompagnaient alors qu’il prêchait dans les fermes reculées de l’Ohio. Dès qu’il fut entré dans la salle où attendaient sagement les collaborateurs, Christopher Innocent Allwright demanda à Whiterspoon de prendre la parole au sujet des ressources du groupe. Ce dernier s’exécuta et dit sur un ton zélé : « Depuis le printemps 2007, notre holding « Les amis de Jésus » a multiplié de manière exponentielle son chiffre d’affaires. De 1,5 milliards de chiffres d’affaires, nous sommes passés après ce fameux prêche en Centrafrique à environ 7 milliards. En 2008, nous étions déjà à 12 milliards, chiffre qui a explosé après lorsque nous nous sommes engagés avec les produits « approuvés par Jésus ». En plus de cela, nous sommes propriétaires du bouquet satellite Amercafirst qui est regardé quotidiennement par 150 millions d’Américains. Nous avons largement les moyens financiers de nous lancer dans la campagne. »

Luke Armstrong continua : « Et avec nos amis répartis dans toute l’Amérique, nous pouvons monter des QG de campagne dans presque tous les états ! »

-C’est une excellente chose, répondit le pasteur. Mais maintenant il nous faut penser à notre programme. Qu’allons-nous proposer comme futur aux Américains ?

Burt Annegarn prit la parole : « Je crois qu’un thème porteur est que les gens en ont marre de payer des impôts pour nourrir les paresseux et chômeurs de tout poil. Nous pouvons être le parti de la baisse des taxes. Les prélèvements sont autant de freins à l’activité des gens. Qui aurait envie de se lever tous les matins pour travailler, même avec la foi s’il sait que les fruits de son travail lui seront enlevés ? Et de même pour les entreprises, la lourdeur fiscale les empêche de créer de l’emploi. En les dégrevant de l’impôt, nous leur donnons les moyens d’embaucher des travailleurs Américains. L’impôt tue la liberté d’entreprendre qui est un des piliers de notre société. En le supprimant nous créons un monde plus juste où les gens se lèvent tous les matins pour leur avenir et pas pour celui des parasites. »

-Tu as raison, Burt, fit Ron Whiterspoon, laissons un maximum de liberté aux gens. L’économie de marché s’autorégule d’elle même. Elle résout les problèmes qu’elle crée. L’entraver, c’est freiner d’autant plus la liberté auquel chaque citoyen a droit. »

Le pasteur Allwright les interrompit : « Cessons là les spéculations sur l’économie. La question qui m’importe, c’est la place de Jésus dans notre société. Quels sont les armes que nous devons promouvoir pour que les gens aient la foi ? »

-Nous pouvons commencer par baisser les impôts de ceux qui mettent leurs enfants dans des écoles privées. Fit Ron Whiterspoon.

-Et pour ceux qui n’ont pas les moyens ? Répliqua Burt Annegarn.

-Il faut enseigner la religion dans les écoles publiques. Les pasteurs doivent aller prêcher jusque dans les écoles car si nous éduquons les jeunes au message de Jésus, nous créerons une société plus conforme à nos desseins. L’athéisme, le radicalisme de gauche diminueront d’autant si nous contrôlons l’enseignement.

-Et les média ? Renchérit Luke Armstrong.

Ce fut au tour de Jacqueline Hollyfield de prendre la parole : « En ce qui concerne les média, je suggère de créer des chaînes publiques dédiées au message de Jésus. Ainsi les gens ne verront que des belles choses à la télévision et pas ces images violentes que nous proposent les rappeurs ! »

-Tout ceci est très bon, fit Christopher Innocent Allwright d’un ton satisfait. Et en ce qui, concerne les lobbies, qui peut nous soutenir ?

-Nous avons des contacts intéressants avec les industries du pétrole et de l’agrochimie, fit Whiterspoon. Les fabricants d’armes ne sont pas contre nous. Nous peaufinons les approches en ce qui concerne l’industrie automobile, les banques et les assurances. Ca se passe bien jusqu’à présent mais ils veulent vous voir personnellement pour mettre en place des stratégies communes. Je crois que bientôt viendra le jour où nous verrons les plans d’épargne en actions et les fonds de pension « approuvés par Jésus ». Et c’est bien car bientôt Jésus deviendra un poids lourd de la spéculation internationale…

-C’est très bien, fit le pasteur. Maintenant je vous demanderai de me laisser, je dois fignoler mes discours. Retournons tous travailler. On se revoit demain matin 9 heures.

Ils se quittèrent tous, leurs plans de travail en tête. La campagne partait dans un enthousiasme biblique.


11-L’amour est plus fort que tout.


Dans ses appartements privés de la basilique Saint-Pierre, Juan Salazar, alias Jean-Paul III, prenait sa douche en sifflotant l’ave maria de Schubert. Dans son lit, Jennifer Allwright paraissait en zappant devant la télévision. Une émission d’information lui apprit que son père se présentait à la magistrature suprême de son pays. Elle appela son petit ami : « Juan ? » Dit-elle d’un ton inquiet. Il sortit de sa douche nu tout en s’essuyant avec une serviette sur laquelle était imprimée le visage de Sainte Thérèse de l’enfant Jésus. Il répondit : « Qu’y a-t-il ma chérie ? »

-Mon père se présente aux élections. Il veut être président.

-Ah bon ?

-Je ne sais pas ce qui lui prend. Il en veut toujours plus.

Juan Salazar essaya de la rassurer : « C’est un homme de foi… Il veut que tout le monde croie en Jésus. »

-Ca ne me dit rien de bon. Comme l’a dit Jésus Christ : « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu. » Mélanger politique et religion, ce n’est pas une bonne chose.

-Il n’est pas encore élu, tu sais.

-Quand même, je ne suis pas rassurée… Il est trop dans la lune pour être homme d’état. Il pourrait faire des bêtises.

-Pense à autre chose.

Il l’embrassa. Puis mit ses habits pontificaux d’un air lassé. « Jennifer ? » Fit-il.

-Oui.

-Je sais bien que c’est le rêve de tout ecclésiastique que d’être évêque de Rome mais je crois que je suis lassé d’être pape. Je préfère vivre avec toi avec comme seule responsabilité que de m’occuper de nous. Les messes, les homélies, les voyages pontificaux, tout ça me fatigue tellement, tu sais…

-N’abandonne pas, Juan ! Tu as tellement de chance d’être pape ! Tu ne devrais pas bouder ton plaisir. Pense à tout ce que tu peux faire pour propager la gloire de Dieu notre Sauveur !

-Par Saint Antoine ! Je vais en parler au cardinal Metzger, il saura me conseiller, lui.

-c’est ça mon chéri. Réfléchis avant d’agir tout comme Saint Ignace de Loyola le faisait.

Juan Salazar prit un air embarrassé puis dit : « Bon, Jennifer, je dois m’en aller. Aujourd’hui j’ai une séance d’audience privée avec des orphelins Guatémaltèques et après je vais demander conseil auprès du cardinal Metzger. Tu fais quoi, toi ?

-j’ai cours ce matin et puis après je rédige ma thèse.

-Bonne journée.

-Bonne journée.

Et ils se séparèrent sans dire un mot de plus.

Après sa séance d’audience privée, Jean-Paul III alla trouver le cardinal Metzger pour lui parler de sa lassitude pontificale. Il le trouva en réunion avec le professeur Manieri qui n’avait plus beaucoup de travail depuis que la papabulle n’était plus utile. « Renoncer à la papauté ? Mais vous n’y pensez pas ? » Fit le professeur d’un ton horrifié. « Vous rendez-vous compte que des millions d’ecclésiastiques rêvent d’avoir vos privilèges ? On vous lave, on vous parfume, on vous fait manger les mets les plus délicieux aux frais de la princesse, on vous loge dans un palais somptueux, vous, tout ce que vous avez à faire, c’est de bénir les gens de temps en temps et vous voulez renoncer ? Vous êtes fou ? »

-Je ne suis pas fou professeur, répondit froidement Jean-Paul III. Seulement j’aime une femme et…

« Vous aimez une femme ? lui répondit sèchement le cardinal Metzger. Vous allez abdiquer de votre mission divine pour une vulgaire femelle ? Sachez, cher ami, que votre sacerdoce est la réalisation de la volonté divine, qu’en vous faisant ecclésiastique, c’est le ciel qui descend sur la terre ! Vous trahissez le ciel ! Vous trahissez Dieu ! » Il reprit son calme et continua :  « Les femmes ! Voilà de bien étranges créatures qui sont plus importantes que Dieu pour vous, faible Jean-Paul III. Eloignez-vous d’elles, elles ne peuvent rien apporter de bon ! »

-Je vous assure, cardinal, que lorsque nous faisons l’amour, nous ressentons du plaisir qui ont quelque chose à voir avec le divin et…

« Pourceau Epicurien ! Dit le cardinal rouge de colère. Si Saint Pierre et saint Paul nous voyaient ! Comment osez-vous faire l’apologie de la fornication ? Savez vous qu’une intromission vulvaire même apprêtée d’un préservatif est interdite hors des liens sacrés du mariage et encore plus pour vous qui êtes censé être le garant de cette loi que Dieu a donné aux hommes ! Je suis horrifié par vos propos ! »

Le docteur Manieri, qui, lui, avait gardé son calme, tenta de calmer le jeu : « Ne nous énervons pas ! Ne nous énervons pas ! Ce n’est pas si grave après tout, si les apparences sont sauves… Vautrez vous dans le stupre et la luxure si ça vous chante mais ne le dites à personne. Pensez aux enfants Phillippins qui ont votre poster dans leur chambre qu’ils partagent avec leur douze frères et soeurs et qui croient en vous ! S’ils savaient ça, tous nos efforts pour améliorer notre image sont réduits à néant. »

Ce fut au tour du cardinal Metzger de parler : « Le docteur a raison. Nous ne vous avons pas élu pour vos beaux yeux ni pour vos états de service apostoliques mais parce que vous passez bien à la télé. Un plouc protestant nous pose des problèmes en ce moment sur ce terrain. Si nous gardons le secret, nous vous aménageront un emploi du temps impeccable, vous n’aurez qu’à passer à la télé de temps en temps. Pour les questions doctrinales, l’aide aux déshérités, la propagation de la bonne nouvelle à travers du monde, on s’occupe de tout, vous pouvez être tranquille. Par contre, si vous décidez de nous quitter, nous vous chassons d’ici à coups de pied au cul et croyez-moi vous n’êtes pas prêts de revivre une vie tranquille. Que choisissez-vous ? »

Jean-Paul III préféra éviter de faire des vagues et annonça : « C’est bon, je reste. Mais ne comptez pas sur moi pour faire du zèle.  Et je compte voir mon amie quand bon me semble »

-Pour la pouffe, c’est OK. Mais sois discret !

Les trois hommes se quittèrent pour vaquer à leurs occupations personnelles. Jean-Paul III maugréant contre ces intrigants qui le tenaient par la peau due cou. Jusqu’alors, il avait voué sa vie à l’Eglise et hors d’elle, il n’envisageait pas son avenir . Il avait peur des menaces des deux hommes car il savait qu’ils ne reculeraient devant rien pour arriver à leurs fins. Il avait peur pour son avenir et pour celui de sa Jennifer…

Le soir même, il raconta la rencontre à son amie. Ils eurent du mal à s’endormir cette nuit là.


12-L’apogée d’un homme.


La campagne présidentielle commença pour Christopher Innocent Allwright sous les meilleurs auspices : des centaines de dons spontanés en espèces sonnantes et trébuchantes affluèrent de toute l’Amérique. Les équipes de campagnes furent rapidement sur pied. Grâce à une audacieuse campagne de publicité supervisée par le pasteur lui-même, Christopher Innocent Allwright, dont le slogan était : « Dieu aide notre nation », dépassa la barre des trente pourcents d’intention de vote pendant l’été. Multipliant les apparitions publiques, il fut en position de dépasser le candidat républicain un mois avant le premier tour et le jour de ce même premier tour, une certaine décontraction règnait dans le « camp de Jésus ». Ce fut au soir du premier tour qu’on fêta le succès du pasteur à coups de dispendieuses bouteilles de champagne. Le « camp de Jésus », comme se plaisaient à le dire les partisans du pasteur, gagnait une légitimité populaire…

L’adversaire du « camp de Jésus » s’appelait William MacNeil et était un démocrate progressiste d’une soixantaine d’années au poids imposant, aimant la bonne chère et les bons vins. Sénateur à l’origine, il avait gagné les primaires de son parti en soutenant fermement la cause du marché commun interaméricain, l’ALENA. Bien entendu, Christopher Innocent Allwright l’avait attaqué sur ce terrain, remarquant qu’un marché commun serait un danger pour les travailleurs Américains de même que les nombreux traités internationaux que les dirigeants, que le pasteur jugeait corrompu, signaient à tout va. « Sous le prétexte de l’environnement, sous le prétexte d’arrêter le commerce des mines, allons-nous priver nos compatriotes de nombreux emplois ? » avait dit le pasteur durant la campagne. Bien sûr, les organisations de gauche avaient vivement protesté mais comme ils ne furent pas relayés par les bouquets satellites, qui appartenaient pour une part au « camp de Jésus », ces protestations passèrent inaperçues. Ce furent plutôt les propos du camp de Jésus qui monopolisèrent l’opinion publique, chaque meeting du pasteur étant abondament traité par les puissants bouquets satellites…

Pourtant, après ce premier tous, les sondages indiquèrent que la cote de William MacNeil remontait rapidement et ce, à cause du fait que ce dernier plaçait habilement le débat sur un terrain sensible : celui de la laïcité. Le sénateur prétendait que le « camp de Jésus » était un danger pour ce fondement de la nation Américaine qu’était sa constitution laïque et qu’une fois le pasteur au pouvoir, c’était le début de la théocratie Américaine. Certains Américains prirent peur, se rebellèrent devant ce prétendu danger. Christopher Innocent Allwright fit tout ce qui était en son possible pour calmer les esprits, affirmant avec force que l’heure de prière qu’il comptait imposer aux établissements publics n’avait que pour but d’augmenter la foi des Américains et qu’elle ne serait nullement obligatoire mais le mal était fait : MacNeil était en tête pour tous les instituts de sondage.

Arriva le jour du débat qui pouvait remettre en selle le pasteur. Sur la chaîne vedette d’AmericaFirst, un présentateur au costume impeccable fut désigné par les deux candidats pour diriger le débat qui allait être regardé par des dizaines de millions d’Américains surchauffés par cette campagne. L’heure du choix était arrivée…

A la date fatidique, William MacNeil portait un costume noir très discret tandis que le clergyman s’était apprêté d’un costume blanc très seyant que lui avait conseillé de porter son conseiller en communication qui avait pour l’occasion doublé ses honoraires qui étaient déjà fort onéreux.

Ce fut le sénateur MacNeil qui ouvrit les débats par une attaque en règle de la prétendue dérive religieuse du pasteur : « Pasteur Allwright, la séparation de l’église et de l’état est un des fondements de notre glorieuse nation. Je crois que chaque Américain a le droit de choisir une vie athée s’il le souhaite et votre projet de renforcer les liens entre les églises et l’état devrait paraître dangereux à tous les citoyens de ce pays. Vous faites en sorte que notre pays devienne une théocratie au lieu d’une démocratie. Je suis dans le camp des athées et je m’oppose à vos projets, très cher pasteur. » Le pasteur Allwright prit une profonde inspiration et répondit : « Monsieur MacNeil, notre projet de réconciliation entre les églises et l’état est approuvé par plus de soixante pourcents des gens de ce pays et vous osez vous opposer à la volonté du peuple ? Je croyais qu’un démocrate comme vous respectait la volonté du peuple ! Cependant, la question n’est pas là. Ce qui compte, c’est que les Américains sont la nation bénie par Dieu et que chaque Américain a fondamentalement besoin de se rapprocher de notre Seigneur et ce n’est pas avec de belles paroles, mais plutôt avec du courage moral que l’on renforce la foi de nos compatriotes. »

-Mais pourquoi renforcer une fois dont beaucoup d’Américains se passent très bien ?

-Parce que c’est la foi qui sauve, monsieur MacNeil ! Osez-vous par vos propos vous ériger en tant qu’ennemi de Dieu ?

-Je ne suis pas l’ennemi de Dieu, je ne fais, que vous interroger sur votre programme et…

-En vous érigeant contre Dieu !

-Mais pas du tout !

-Mais si, monsieur MacNeil, mais si ! En défendant les athées, vous défendez la luxure, le relâchement des mœurs, la fornication hors des liens du mariage, le matérialisme ! Or, monsieur le sénateur, ces maux sont rejetés massivement par nos compatriotes, il suffit de regarder les études d’opinion. Vous faites un mauvais choix sur le plan historique, sénateur MacNeil, le vent de l’histoire souffle dans le camp de Jésus !

-Je ne fais que défendre la liberté des Américains !

-Oubliez-vous que c’est Dieu qui nous a donné cette liberté ? Dieu nous a créé a son image, c’est à dire souverainement libre, par conséquent, le bon usage de notre liberté, c’est d’obéir aux préceptes de Jésus. L’athéisme est de toute évidence un signe que nous nous détournons de notre Seigneur, que nous faisons un mauvais usage de notre liberté. Et moi, je veux que les Américains retrouvent la foi de nos pères les pionniers, cette foi qui nous guide tous les jours et qui nous donne la force de nous lever tous les matins pour aller au travail. Et ça, sénateur MacNeil, c’est un langage que les Américains comprennent très bien tandis que vos subtilités sur votre prétendue liberté ne peuvent qu’amener nos compatriotes à une perte de nos valeurs fondatrices qui est le début du déclin de notre nation. Je ne veux pas de déclin. Je veux la prospérité et la réussite par le travail et la foi qui sauve!  C’est pourquoi je réduis les impôts et subventionne les écoles privées.

-Réduire les impôts, parlons-en, pasteur Allwright, votre programme va de toute évidence pénaliser les plus pauvres tandis que les riches, eux, seront privilégiés. Je compte, une fois élu, renforcer le pouvoir d’achat de mes compatriotes en en améliorant le système d’aide sociale.

-Croyez-vous, sénateur MacNeil, qu’un Américain qui travaille avec sa femme, qui gagne péniblement 2000 dollars par mois et qui paie ses impôts, soie amputé honteusement d’une partie du fruit de son labeur qui est hélas redistribué généreusement aux dealers et aux chômeurs qui ne font rien pour s’en sortir ? C’est cela la vraie injustice ! C’est cela que combat le camp de Jésus ! Voyez-vous, la nation est comme un arbre et quand certaines branches ne donnent plus de fruits, cela ne sert à rien de les soigner, il faut au contraire les couper ! Tous ces assistés qui volent honteusement le travail des Américains honnêtes doivent être mis en face de leurs responsabilités : ils doivent se mettre au travail ou quitter ce pays !

-Je ne crois pas que Dieu, qui est amour, soie d’accord avec vos propos agressifs, pasteur. Il faut aussi aimer les pauvres et pas les marginaliser…

-Mais je ne les marginalise pas, bien au contraire ! Grâce à notre programme « travail contre nourriture », les plus déshérités de nos compatriotes pourront de nouveau retrouver le chemin de l’insertion et avec l’aide de Dieu, ils connaîtront à nouveau la prospérité !

Le débat continua encore environ une heure, les deux protagonistes ayant chacun à leur tour le temps de développer leurs arguments et leurs programmes. Lorsque tout fut fini, chacun s’estimait satisfait de sa prestation. Dans le camp du pasteur, on disséqua le débat sous toutes ses coutures et on décida d’insister sur l’injustice que ressentaient les Américains qui pour beaucoup, n’aimaient pas payer des impôts pour les paresseux. Cela fit que la semaine qui suivit fut le théâtre d’une campagne de presse contre les assistés de tous poils qui refusaient de s’en sortir et préféraient voler le pain des honnêtes gens. Les arguments, bien que simplistes, firent mouche car la guerre médiatique tourna à l’avantage du pasteur.

Enfin vint le jour des élections. Toute l’Amérique était en ébullition. Dès l’aube, on se rua sur les bureaux de vote pour s’exprimer pour ou contre le « camp de Jésus ». Christopher Innocent Allwright vota sous le regard de nombreux journalistes dans sa ville de Cleveland, accompagné de sa femme et déclarant que ce retour aux sources dans son pays d’origine était nécessaire pour un futur homme d’état comme lui. Vers midi, les premières estimations le donnaient gagnant avec plus de soixante pourcents des vois. Les Américains continuèrent de se rendre massivement aux urnes, battant des records de participation. Enfin, vers huit heures, dans son QG de campagne, sous la mitraille de centaines de journalistes du monde entier, il regarda la chaîne vedette de son bouquet satellite pour la première estimation. Ce fut pour ses partisans une explosion de joie quand la petite animation en images de synthèse le donna vainqueur avec plus de 57 pourcents des voix. Partout dans le pays les amis de Jésus sortirent dans la rue pour exulter de joie et toute l’équipe qui s’était décarcassé pour faire élire le pasteur s’embrassa chaudement et se félicita mutuellement. Dans le « camp de Jésus », la joie était à son comble. Le ministre du culte, qui embrassait dorénavant un destin d’homme d’état à importance planétaire se retira dans son bureau quelques minutes puis en ressortit triomphant et désirant s’adresser à la nation pour la première fois et ce, devant ses partisans : « Mes très chers compatriotes, Dieu a choisi son camp ! » Dans la salle, la joie était extrême et des applaudissements, des vivas empêchaient le pasteur de poursuivre. Au bout de cinq minutes de délire, la foule se calma un peu et il put reprendre : « Mes très chers compatriotes, je n’ai pas été élu pour quelques Américains, mais pour tous les Américains ! Que Dieu, dans son infinie bonté, aide et protège notre nation ! Que la miséricorde de Jésus se fasse sentir sur tous les Américains, même ceux qui, tentés par le mal et l’athéisme, n’ont pas voté pour nous ! Glorieux citoyens Américains, vous avez montré, par votre vote, votre soutient à ce qu’on a appellé le « camp de Jésus ». Sachez-bien que nous serons dignes de la confiance que vous nous avez accordé en tenant nos promesses électorales. Nous ne sommes pas de ceux qui faiblissent quand vient les difficultés car nous avons chevillé au corps la foi de Jésus et celui-ci nous donne la force d’entreprendre et de persévérer. Citoyens, ne vous demandez pas comment Jésus peut vous venir en aide mais demandez-vous comment vous pouvez aider Jésus car la rédemption et le pardon des péchés passe par la volonté de s’en sortir plus que par la demande d’aide sociale ! Car nous faisons du travail la base d’une vie saine et équilibrée, enfin digne de Jésus, et nous croyons à la récompense du travail. C’est pourquoi, afin que chaque Américain puisse bénéficier sous l’œil bienveillant de Dieu, du fruit mérité de son dur labeur, nous allons mettre en œuvre une bausse sans précédent des impôts qui saignent les gens honnêtes de ce pays !

Citoyen, des calomniateurs nous ont accusés d’être des conservateurs, des suppôts de l’ordre établi ! Je réponds que c’est un conservatisme compatissant ! Je suis convaincu que la philosophie conservatrice est une philosophie compatissante qui libère les individus pour réaliser leur potentiel le plus élevé ! Oui mes chers amis, je suis conservateur pour couper les impôts et compatissant pour donner aux gens plus d'argent pour dépenser. Je suis toujours aussi conservateur pour exiger de nouvelles écoles subventionnées et des niveaux plus élevés de résultat ! Par contre, je suis compatissant pour m'assurer que chaque enfant apprend à lire et à écrire et que personne ne reste sur le côté de la route ! Je suis conservateur pour reformer le système d'assistance sociale en insistant pour que les gens travaillent et je suis compatissant pour libérer les gens de la dépendance du gouvernement ! Enfin je suis conservateur pour reformer le code civil sur la jeunesse et punir les mauvais garçons et compatissant enfin pour identifier la discipline et l'amour de Jésus !

Mes très chers compatriotes, vous ne serez pas déçus de m’avoir fait confiance car je saurai vous rendre tous prospères en veillant à ne laisser personne sur le bord de la route. Que Dieu bénisse notre nation ! »

La salle, surchauffée, applaudit à tout rompre. Pour Christopher Innocent Allwright, le triomphe était total. En ces moments de gloire, il pensait à son père et son grand père qui lui avaient inculqué le respect et l’amour de Jésus et qui lui avaient permis d’en être là où il en était actuellement. Il se sentait pleinement heureux.

Il descendit de l’estrade où on l’avait fait monter pour son discours à la nation quand Mlle Hollyfield, son assistante de direction, l’attrapa par le bras et lui tendit un télégramme urgent. Il le lut. C’était sa fille Jennifer qui lui annonçait qu’elle restait à Rome avec son catholique de concubin et qu’elle était désolée de ne pas être là en un moment si important pour lui. Cela le mit dans une rage affreuse ; il ne pouvait pas supporter l’idée que sa fille bien aimée vive avec un homme qu’il ne connaît pas, et qui de surcroît est un ecclésiastique catholique. Il mit le papier dans sa poche et se rendit vers la salle des cocktails où l’on sortait déjà le champagne français pour fêter cette élection mémorable et cette victoire du « camp de Jésus ».



13-Premières mesures.


Les premières semaines de pouvoir du « camp de Jésus » se passèrent dans une euphorie sans précédent. Christopher Innocent Allwright et son équipe s’empressèrent de faire voter par un congrès enthousiaste les baisses d’impôt annoncées ; de nombreuses familles reçurent des aides de l’état pour faire inscrire leurs enfants dans les écoles privées de leur choix et comme on avait besoin d’argent pour cela, on baissa l’aide sociale autant qu’il était possible. Du côté médiatique, on fit une campagne de presse significative contre l’insécurité et on mit en place un programme baptisé « prières contre liberté » dans lequel les jeunes délinquants pouvaient bénéficier de remises de peines en échange de stages intensifs de réhabilitation par la pratique religieuse au sein d’institutions de croyants. En ce qui concernait la politique étrangère, le pasteur augmenta le budget militaire de manière importante afin de « donner aux Américains les moyens de faire entendre leur point de vue ; celui de la liberté ». Mais ce qui faisait le plus plaisir au clergyman, c’était l’évidente augmentation de la foi dans le pays car de partout les gens retournaient au temple pour prier le Seigneur et beaucoup voulaient sincèrement se mettre en règle avec Jésus en ces temps de renouveau de la foi.

On pouvait raisonnablement croire à la bonne humeur du pasteur, dorénavant président de la première puissance économique du monde mais la joie de ce dernier était fortement assombrie par les lettres qu’il recevait de Rome où sa fille unique défiait de plus en plus son autorité de père de famille…

D’ailleurs à Rome, Jean-Paul III et Jennifer s’entendaient de mieux en mieux à mesure que le pape se détachait de sa mission d’évêque de Rome, n’apparaissant que pour les cérémonies publiques et laissant la marche des affaires au cardinal Metzger et au docteur Manieri ainsi qu’à une bonne partie de la curie qui vivait une liberté de décision qu’on n’avait pas vue depuis des siècles.

Un soir qu’elle était dans les appartements privés du pape à zapper devant la télévision par satellite, Jennifer, qui était en train de vivre les jours les plus heureux de sa vie avec son Jean-Paul III de concubin, l’entendit arriver après une séance d’audience publique . « Bonsoir, Juan, comment ça s’est passé aujourd’hui ? »

-Ca c’est passé… Une journée de plus en tant que pape.

-Sœur Marie-Dominique et Sœur Elisabeth sont passées et ont rangé l’appartement. Nous n’avons rien à faire ce soir. Et si tu quittais un peu tes habits et mettait ta perruque pour aller dîner au restaurant ? Ca fait longtemps que nous n’y sommes pas allés !

-Je préfère rester ici, je suis trop fatigué pour sortir.

-Fatigué ! Fatigué ! Tu es toujours fatigué ! Tu pourrais faire un effort mon chéri !

Juan Salazar respira profondément et alla dans la chambre à coucher. Il se déshabilla, mit des vêtements civils et en ressortit en disant : « d’accord, d’accord, allons au restaurant ce soir »

Juan Salazar mit une perruque, une barbe postiche et ils entrèrent dans une discrète mercedes grise qui les conduisit dans une petite pizzeria romantique du centre historique de Rome. Ils commandèrent une pizza calzone et une pizza stromboli accompagné de chianti avec en entrée du carpaccio de bœuf. Jennifer lui disait qu’elle était inquiète de voir son père accéder à la présidence car elle le pensait trop influençable : « Il n’est pas fait pour ce job, c’est un homme de foi, pas un politicien et il est entouré de gens intéressés. Sa foi risque de l’aveugler car on ne gouverne pas les Etats Unis d’Amérique comme on gouverne un presbytère. La politique, ça s’adresse d’abord aux gens, ce n’est pas qu’un bilan comptable ou un instrument pour la propagation de la foi. Que dirait Saint Thomas d’Aquin s’il voyait cela ! »

-Par Saint Antoine, tu dis vrai !

Un long moment passa pendant lequel aucun des deux convives ne dit rien puis, l’air de ne pas s’en apercevoir, Jean-Paul III sortit une petite boite de sa poche, la mit sur la table et l’ouvrit. A l’intérieur, on pouvait voir une bague de fiançaille en diamant. Il dit : « Jennifer, ceci est pour toi, je te l’offre parce que je t’aime et que je ne veux plus me cacher pour t’aimer. Je veux ou bien quitter mon pontificat, ou bien le réformer suffisament pour que je puisse me montrer à ton bras sans que cela ne gêne quiconque. Jennifer, veux-tu être ma fiancée ? »

La jeune femme mit à son auriculaire droit la bague qui lui allait parfaitement et son énorme mâchoire se fendit d’un généreux sourire : « Si je pouvais t’épouser là tout de suite, je le ferais immédiatement car tu es l’homme que j’aime, mon Juan. »

-Mais on pourrait se marier tout de suite, ma chérie, je connais un prêtre prêt à le faire, il nous suffit de trouver les témoins.

-C’est facile, fit Jennifer, je n’ai qu’à téléphoner à mes amis de la fac, ou alors on paye des gens du restaurant pour cela.

Ils s’embrassèrent, et comme ils étaient fiancés dorénavant, ils mirent la langue pour la première fois et trouvèrent cette expérience tellement sensuelle qu’ils se jurèrent de recommencer une fois mariés.

Jennifer se baissa pour prendre son téléphone portable et commença à composer les numéros de ses amis de la faculté de théologie mais personne n’était disponible pour servir comme témoin immédiat. Le couple monta immédiatement dans un taxi qui les conduisit le long d’un boulevard de Rome. C’était Jean-Paul III qui menait le bal et il sonna à l’entrée d’un immeuble cossu qu’il semblait connaître. Au début, on ne répondit pas et au moment où le couple allait tourner le dos pour s’en aller, un timide « oui » sortit de l’interphone. Jean-Paul III se précipita. C’était le Père Menzoni, confesseur particulier du pape qui répondait. Jean-Paul III engagea la conversation : « Père Menzoni ! Père Menzoni, j’ai besoin de vous ! »

-Pourquoi, mon fils ?

-Je me marie ce soir !

-Quoi ?

-J’ai besoin de vous ! Pour me marier !

-Mais, mon fils, avez-vous bien réfléchi ?

-Oui, mon père, la décision est prise, je me marie !

-Je descend mon fils…

Deux minutes plus tard, le père Menzoni descendit encore en caleçon long. Il fut aussitôt placé dans le taxi qui partit en trombe pour l’église San Agostino située via della scrofa. Une fois arrivé, le père Menzoni, Jennifer et Juan Salazar s’enquirent de chercher des témoins ; mais comme il était tard le soir, il n’y avait plus personne dans les rues. Enfin, après une demi heure de recherche, les trois acolytes trouvèrent en train de cuver un vieux clochard romain qui se prêta de bonne grâce pour servir de témoin à condition qu’on lui laisse de quoi s’acheter de quoi manger pour le lendemain. Jennifer trouva aussi au détour d’une rue une certaine Louisa, qui accepta pour le prix d’une passe de témoigner de l’amour entre les deux jeunes gens. Comme le Père Menzone avait les clés de l’église, ils entrèrent facilement et la cérémonie commença. Elle fut d’abord réduite à sa plus simple expression ; après une courte chanson, un gloria que chanta maladroitement Juan, la petite assemblée fit une courte prière puis ce fut le mariage proprement dit, les deux tourtereaux répétant tour à tour devant Dieu qu’ils voulaient vivre ensemble dans le cadre du mariage, qu’ils souhaitaient se marier pour créer une communauté de vie, se vouer assistance mutuelle, aide et protection réciproque. Ils échangèrent leurs vœux, puis les bagues et enfin un baiser avant que le père Menzone ne dise : « Par les pouvoirs qui me sont conférés et devant Dieu, je vous déclare mari et femme ! » Les deux témoins s’avancèrent alors pour signer le registre puis tous les cinq entonnèrent un ave maria improvisé et ce fut fini, Juan Salazar, alias Jean-Paul III et Jennifer Allwright étaient unis devant le Seigneur jusqu’à ce que la mort les sépare. Comme il était quatre heures du matin, chacun rentra chez soi se coucher. D’ailleurs, dans les appartements pontificaux, Jennifer et Jean-Paul III, très fatigués, se mirent directement au lit remettant la consommation de leur mariage à une prochaine fois.

Jean-Paul III se leva à huit heures du matin et alla annoncer la nouvelle au cardinal Metzger qui traînait au Vatican en compagnie de son inséparable compère, le professeur Manieri : « Je me suis marié la nuit dernière », annonça-t-il tout de go. Les deux intriguants haussèrent les épaules, outrés par cette révélation mais fatigués par les mauvaises nouvelles qui s’amoncelaient. Le cardinal prit la parole : « O tempora ! O mores ! Vraiment ce n’est pas digne d’un catholique qu’un pape en exercice se marie clandestinement d’autant plus que nous vous l’avions interdit, espèce de pharisien ! »

-Mais ce n’est pas trop grave, ajouta le docteur Manieri, toujours prompt à arrondir les angles, tant que vous faites illusion aux yeux des catholiques du monde entier. Restez pape encore quelques années »

-Etre pape, quel métier idiot, fit Jean-Paul III, porter ces vêtements ridicules, dire des mots dans une langue que personne ne comprend, passer son temps faire de pompeuses messes pour le decorum, cela ne rime à rien. Où est la foi des pères de l’église ? Où est le message du Christ dans tout ça ? Il est enterré et étouffé sous des tonnes de traditions inutiles !

-Les pères de l’église ! Les pères de l’église ! Rugit le cardinal, nous sommes au vingt et unième siècle, l’âge d’internet et de la bombe nucléaire, pas au temps de l’empire Romain. Le vatican, aujourd’hui, c’est une multinationale de la croyance religieuse, pas une secte en devenir. Saint François d’Assise se retournerait dans sa tombe s’il vous entendait !

-Calmons-nous, je vous en prie, dit le docteur, n’oublions pas que ce qui compte, ce sont les apparences, pas ce que nous pensons.

-D’autant plus, ajouta le cardinal, que nous avons de gros problèmes en ce moment : les Américains ont élu le pasteur Allwright comme président, il va tenter de convertir nos ouailles à sa foi dévoyée. Nous devons absolument le mettre hors d’état de nuire.

-Mais comment allons-nous faire ?

-Il faut dépenser une intense activité diplomatique et médiatique pour contrecarrer son pouvoir. Nous devons compter nos amis et entamer avec eux des campagnes de presse pour le décridibiliser et si possible, le mettre hors d’état de nuire et ce, par tous les moyens. Je compte sur vous Jean-Paul pour mettre en branle les nonciatures et mener une intense activité diplomatique. Finies les messes en grande pompe, c’est la guerre des croyances qui commence !

A contrecoeur, Jean-Paul III accepta de mener la « guerre diplomatique » et prit congé des deux hommes. Une fois qu’il fut parti, le docteur Manieri souffla au cardinal : « Heureusement qu’il ne sait pas tout, car sinon il serait entré dans une colère noire . »

-Tout à fait, docteur, tout à fait….


14-La machine s’emballe.


Dans le bureau ovale de la maison blanche, Christopher Innocent Allwright supervisait quelques projets de loi visant à diminuer le nombre de fonctionnaires, baisser les impôts des multinationales Américaines et imposer la prière dans les écoles quand il fut dérangé par son conseiller privé à la sécurité internationale, Dean Moriarty. « Monsieur le président ? »

-Qu’y a-t-il Dean ?

-C’est au sujet de votre fille, monsieur le président.

-Elle est de retour, enfin ?

-Euh… Pas tout à fait, nous savons de source sûre qu’elle s’est mariée secrètement avec le pape Jean-Paul III ces jours derniers à Rome.

Le président fut frappé de stupeur et ne dit mot pendant une longue minute. Son visage se fit tout rouge, il essaya bien d’ouvrir la bouche mais il n’y parvenait pas. Enfin, au bout d’un long effort, il bégaya : « Ma fille bien aimée ? Mariée à un pape ? »

-C’est cela monsieur le président, elle s’est mariée en cachette il y a quelques jours.

Christopher Innocent Allwright marmonna : « Par Jésus ! Si je croise l’enfant de putain qui l’a épousé, tout président que je suis, je le tue de mes propres mains ! »

Dean Moriarty, qui avait entendu, répliqua : « Nous pouvons engager un de nos bérets verts section forces spéciales pour faire le travail à votre place, monsieur le président »

-Non, cela pourrait la traumatiser. Ce que je veux, c’est qu’elle fasse preuve de contrition et qu’elle reconnaisse ses péchés… Et que son pape de mari disparaisse de la surface de la terre d’une manière ou d’une autre. » 

-Alors que faisons-nous ?

-Je vais réunir mon conseil rapproché. L’heure est grave pour l’honneur de ma fille…

Pendant que le pasteur ruminait sa colère, Barbara Allwright, la first lady, préparait tranquillement du poulet frit pour son mari dans ses appartements privés quand elle entendit un bruit de vitre cassé dans la pièce à côté. Inquiète, elle alla vérifier que tout était en ordre lorsqu’elle se trouva nez à nez avec deux inconnus en costume noir qui visiblement étaient entrés par effraction. Prise de panique, elle tenta de donner l’alerte mais avant qu’elle n’eut ouvert la bouche elle reçut un violent coup de matraque sur la nuque qui la fit s’évanouir. Lorsqu’elle se réveilla, elle était dans un petit avion entourée d’hommes à la mine patibulaire portant tous de magnifiques costumes noirs. Baillonnée et ligotée, elle ne pouvait que se débattre vainement. Elle était morte de peur…

Quelques heures après, à la maison blanche, Christopher Innocent Allwright apprit l’enlèvement de sa femme. Très en colère, il réunit d’urgence son cabinet rapproché composé des Ron Whiterspoon, Dean Moriarty, Mlle Hollyfield et quelques autres grands pontes de la maison blanche. Ce fut le président lui-même qui prit la parole : « Messieurs, l’heure est grave, ces maudits catholiques ont n’ont décidément aucun respect pour leur prochain. Ils ne valent guère mieux que les athées et sont des chrétiens dévoyés au service du mal. En s’attaquant à ma famille, en séduisant ma fille et en kidnappant ma femme, c’est comme s’ils s’attaquaient à moi même et aussi à Jésus. Si je vous ai réunis, c’est pour élaborer une stratégie de contre-attaque et ce, le plus rapidement possible. »

Dean Moriarty prit la parole : « Avant toute chose monsieur le président, je voulais vous informer que le cardinal Metzger et toute sa clique font actuellement preuve d’une intense activité diplomatique tout autour du monde pour contrer notre pouvoir grandissant. Les nonciatures de tous les pays du monde tentent de nouer des alliances avec les grandes capitales afin de développer la foi catholique. Si nous ne faisons rien, nous allons perdre notre leadership mondial ! »

-Mais pour ma fille et ma femme, que pouvons nous faire ?

Ron Whiterspoon dit : « Pour votre fille, c’est délicat car elle s’est mariée de son plein gré, je vous suggère donc de lui téléphoner pour tenter d’arranger les choses. En ce qui concerne votre femme, c’est différent. Cet enlèvement ne peut être que l’œuvre des forces du mal en conséquence de quoi nous devons réunir des preuves et envoyer nos bérets verts sur le vatican afin de la délivrer. »

Le général en chef Malone ajouta que ses forces armées étaient prêtes au combat contre les forces du mal et que les missiles nucléaires étaient en parfait état de marche en ces moments difficiles pour les vrais hommes de foi.

Le cabinet de crise discuta de toutes les options possibles, y compris l’option miliaire et le pasteur promit de faire un discours important s’adressant à toutes les nations dans les jours prochains. Cette réunion remit un peu de baume au cœur du pasteur qui avait été durement éprouvé en quelques heures : l’heure de la riposte avait désormais sonné…

Le soir même, seul dans ses appartement particuliers, Christopher Innocent Allwright composa le numéro de sa fille à Rome. Après quelques sonneries, elle répondit : « Allo ? »

-Allo, Jennifer ? C’est Christopher, ton papa.

-Bonsoir papa. Comment vas-tu ?

-J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer ; on a enlevé ta mère ce matin.

-Enlevée ! Mais c’est horrible !

-Ce sont les hommes du cardinal Metzger qui ont fait ça.

-Tu veux dire que ce sont des catholiques qui ont fait une chose pareille ?

-Nos services de renseignement nous l’ont formellement assuré.

-Ce n’est pas possible, je ne te crois pas. Les catholiques sont des hommes de paix, jamais ils ne feraient une telle ignominie !

-C’est portant vrai, ma fille. Les catholiques sont tombés dans le camp de satan maintenant et je te téléphone pour que tu reviennes vite me voir ici à Washington. Je n’ai plus que toi dorénavant.

-Mais j’aime Juan, papa, je veux vivre avec lui, c’est l’homme de ma vie. Si tu le connaissais, il est si gentil, si attentionné, il me fait rire ! Je vis des moments formidables à Rome et je compte bien y rester.

Le pasteur était désespéré et dit d’un ton implorant : « Ma fille, tu es dans la gueule du monstre ! Tu es entourée de suppôts de satan, tu es en danger ici, à Rome. Fuis avant qu’il ne t’arrive malheur ! »

-Mais, papa ! Je me sens en sécurité avec Juan à mes côtés. Il ne peut rien m’arriver, crois-moi !

-Reviens me voir au moins une semaine, le temps de souffler un peu et de réfléchir à ton avenir. Ta place est avec les vrais amis de Jésus, pas avec les catholiques.

Jennifer entendit la porte s’ouvrir. Jean-Paul III était de retour. Elle dit à son père : « Je vais y réfléchir, papa. Je te rappelle ! » Elle raccrocha.

Pendant ce temps, à la basilique, six hommes en costume noir portant un gros sac en toile contenant un corps humain entrèrent par une porte dérobée pour être reçus par le cardinal Metzger et le docteur Manieri. Les six hommes baisèrent la bague du cardinal avant que celui-ci ne donne l’ordre de sortir la personne du sac. C’était Barbara Allwright qui était toujours baillonnée et ligotée. On l’assit sur une chaise et on lui enleva son baillon afin qu’elle puisse s’exprimer mais, héberluée et angoissée, elle semblait incapable de dire quoi que ce soit

Le cardinal Metzger et le docteur Manieri, qui étaient maintenant seuls avec la femme du pasteur, la regardaient reprendre ses esprits. Ce fut le cardinal qui brisa la glace et fit le premier pas : « Alors, comment allez-vous, madame Allwright, j’espère que nos amis n’ont pas été trop rude avec vous. .. »

Choquée, elle ne disait toujours rien. « Les hommes de Don Carbone sont parfois un peu frustres dans leurs actes, voyez-vous » Fit le docteur Manieri d’une voix douce.

-Où suis-je ? Dit enfin Barbara Allwright.

-Vous êtes dans un sanctuaire de paix, ici il ne peut rien vous arriver.

-Je veux rentrer chez moi !

-Calmez-vous ! Calmez vous ! Continua le docteur. Vous n’aimez pas les voyages ?

-Je veux retrouver mon mari !

-Ne vous inquiétez pas, vous n’avez aucune raison d’avoir peur.

Le cardinal Metzger, qui pour l’instant s’était tu, déclara : « Madame, vous êtes ici par la volonté de Dieu et vous en ressortirez par la volonté des hommes ! Votre présence nous a été imposée par les circonstances, nous voulons juste nous assurer que vous acceptez notre invitation.

-Invitée ? marmonna Barbara interloquée. Mais je ne me plais pas ici !

-Vous vous plairez, j’en suis sûr, fit le cardinal avec un grand sourire.

-Laissez-moi rentrer chez moi ! Implora Barbara.

-Mais vous pouvez partir, répondit le docteur.

-Alors détachez-moi !

--Nous ne pouvons faire cela…

-Mais pourquoi ?

-C’est Dieu qui vous a amené ici, c’est à lui de vous en faire sortir... Comment nous, de saints homes, allons nous oser nous opposer aux desseins de Dieu !

-Bande de connards ! Hurla-t-elle. Détachez-moi !

-Comment, vous voulez faire de nous des sacrilèges ! Vous êtes une pécheresse, madame…

-Au nom de Dieu, au nom de Bouddha, au nom d’Allah, au nom de Yahvé, faites-moi sortir d’ici !

-Espèce de mécréante syncrétiste, rugit le cardinal Metzger, hors de ma vue !

Les hommes en costume noir de Don Carbone sortirent d’une porte dérobée et emportèrent la femme du pasteur loin des deux hommes de foi. Le docteur faisait une moue de dégoût et dit : « Vous avez vu cette pécheresse, non contente d’accepter le destin que Dieu a choisi pour elle, elle montre son mécontentement d’une manière bien peu catholique ! »

-Vous avez raison, docteur, mais quel heureux dessein de Dieu que de nous avoir présentée ainsi baillonnée et à la merci de nos amis de Sicile la femme du pasteur le plus méchant du monde. S’il Dieu veut qu’il lui arrive malheur, je connais un président qui serait très triste…

-Tout à fait, et maintenant il sera plus prompt à nous écouter et fera sans aucun doute moins le malin, cet idiot de parpaillot !

Le cardinal Metzger s’assit sur une chaise, bailla et dit d’un air satisfait : « Oui, vraiment Dieu fait parfois bien les choses… »


15-La tristesse et la vengeance.


En ce matin d’octobre 2009, Christopher Innocent Allwright, oubliant un temps la tristesse d’avoir sa femme kidnappée par les hommes de main du vatican, mit son plus beau costume pour se rendre au conseil de sécurité des nations unies afin d’y faire un discours dont le but était d’acquérir l’assentiment des autres nations du monde dans cette affaire délicate qui l’opposait au vatican..

A cette occasion, tous les diplomates du monde, ministres des affaires étrangères et autres délégués importants s’étaient mis sur leur trente et un afin d’écouter le président de la plus riche nation du monde s’adresser au reste de la planète. Pour les medias, l’heure était déjà grave ; ce pied de nez du vatican à la superpuissance américaine justifiait des représailles très dures qui avaient été entretenues par des propos belliqueux des plus proches conseillers du président. Le monde retenait son souffle et l’affaire de l’enlèvement suscitait la conversation en bien des endroits de la planète et ce, même si les preuves de la culpabilité des catholiques manquaient cruellement.

Christopher Innocent Allwright apparut devant les autres nations du monde dans un costume gris impeccable, peigné, rasé, parfumé et plus que jamais déterminé à revoir sa femme vivante.

« Mesdames et messieurs les délégués, monsieur le président des nations unies, je vous remercie de m’écouter avec attention au sujet d’une affaire qui me tient à cœur et sur lequel je veux recevoir l’assentiment du monde. Il y a quelques jours, la femme avec laquelle je me suis uni devant Jésus, Barbara Petigrew Allwright, a mysterieusement disparue. Nos services de renseignement, les meilleurs du monde libre m’ont averti qu’elle avait été enlevée par des mafieux aux ordres d’une bande de voyous ayant pour paravent la religion : le vatican et toute sa clique d’ecclésiastiques hypocrites et méchants. Allons-nous tolérer de telles pratiques ? Allons-nous laisser le mal s’immiscer dans nos vies sans réagir ? Car si là nous ne faisons rien, c’est l’avenir du monde libre qui risque de se trouver compromis. Mes très chers amis, l’état du vatican est un état voyou qui ne recule devant rien pour propager sa foi obscurantiste et intolérante. Les bandits à la tête de cet état doivent être mis hors d’état de nuire afin que la liberté et la sécurité de tous se trouvent garantis. C’est pourquoi je vous propose de voter une résolution obligeant cet état voyou à me rendre ma femme dans un délai rapide. Mais si le vatican s’obstine dans sa malhonnêteté, il aura à faire face à de très graves conséquences qui, avec l’aide de Jésus, le toucheront si cet acte inqualifiable ne trouve pas une solution appropriée. »

Des applaudissements polis pour certains, enthousiastes pour d’autres, fusèrent. Tous les ambassadeurs se mirent alors à parcourir le document de la résolution américaine qui prévoyait une coopération entre des inspecteurs de l’ONU et des officiels des gouvernements Italiens et Pontificaux afin de faciliter l’enquête. De plus, au cas où la coopération ne serait pas satisfaisante, les Etats-Unis s’arrogeaient le droit d’utiliser la force pour régler le problème.

Le délégué de la nonciature répondit au pasteur que lui et les catholiques n’avaient pas pu faire une chose pareille, que les catholiques étaient innocents et que pour preuve de leur bonne volonté, ils acceptaient les enquêtes des inspecteurs de l’ONU qui seraient reçus le plus cordialement du monde au Saint-siège. Le délégué Italien, lui insista sur le fait que cette enquête était une violation de la souveraineté de son pays mais que lui aussi acceptait les délégués car les Italiens sont de paix et donc soumis à la volonté des nations du monde. Parmi les grandes nations, aucune ne mit son veto et la résolution 1789 fut votée à l’unanimité pour la plus grande satisfaction du président des Etats unis d’Amérique, Christopher Innocent Allwright, qui espérait par ce vote, revoir sa femme vivante.


Quinze jours après le vote de la résolution, alors que les inspecteurs commençaient à coopérer avec les gouvernements Italiens et pontificaux, dans une ferme en ruine d’un petit coin reculé de la campagne sicilienne, Barbara Petigrew Allwright jouait au poker, une bouteille de whisky à la main avec ses geôliers, Vic Stambouli, Alex Devitto et Vittorio Allegheri. La ferme en ruines était truffés d’hommes en costume noir fortement armés et aux ordres de Don Carbone. Pourtant, Barbara Allwright n’avait pas l’air affectée par son enlèvement, bien au contraire. Ivre de whisky, elle plumait ses geôliers au poker qui misaient toujours plus gros dans l’espoir de battre enfin la femme du pasteur. Dante et Alex s’étaient couchés, Vittorio misait pour voir. Barbara remit une mise et Vittorio montra son jeu : brelan de valets. « Pas mal, mon chéri » fit Barbara, « mais vois plutôt ça ! » Elle montra un full aux sept par les dames. « Encore gagné ! » hurla-t-elle de plaisir, puis elle reprit une rasade de whisky. A ce moment, Lucio Bergomi, le lieutenant de Don Carbone entra dans la pièce et donna l’ordre de l’empêcher de sortir. Il alla lui-même au dehors car un de ses collègues mafieux avait repéré des déplacements louches aux alentours de la ferme. Lucio Bergomi prit les jumelles et vit des hommes en treillis coiffés de bérets verts encercler la maison. Il prévint tous ses amis qui vérifièrent l’état de leurs armes et se postèrent aux quatre coins de la ferme. Lucio, de son côté, prit le talkie-walkie et appella ses amis du village voisin pour qu’ils rappliquent le plus tôt possible : il allait y avoir du grabuge.

Cinq minutes plus tard, les hommes aux bérets verts attaquèrent de toutes parts. Les hommes de Don Carbone répondirent du tac au tac mais pour l’instant ils étaient moins nombreux. Lucio descendit de ses propres mains deux ennemis mais, sous l’effet du nombre, les mafieux durent se replier dans le corps de ferme laissant six hommes tués ou blessés. Du côté des bérets verts, Lucio eut le temps de voir au moins une dizaine de cadavres. Une fois repliés, les hommes de Don Carbone se rendirent compte qu’ils n’avaient presque plus de munitions, ils n’allaient pas tenir bien longtemps d’autant plus que les bérets verts utilisaient maintenant des grenades lacrymogènes pour les forcer à sortir de leur retraite. De son côté Barbara, titubante sous l’effet de l’ivresse ne semblait pas se rendre compte que les soldats d’élite de son mari tentaient de la délivrer. A l’intérieur de la ferme, c’était intenable, tous les survivants pleuraient et toussaient à cause des gaz mais chacun mettait un point d’honneur à accomplir sa mission.

Alors que les mafieux étaient sur le point de se rendre, ils entendirent des bruits d’armes automatiques : leurs amis du village leur venaient en aide et les bérets verts durent bientôt se replier laissant douze homme morts et cinq blessés.

Dans le camp de Don Carbone, on s’embrassa et se félicita d’avoir donné une leçon aux soldats d’élite de la maison blanche. Enfin, deux heures plus tard, on décida de transférer Barbara dans une autre cache au cas où les bérets verts reviendraient et ce conformément aux ordres qu’ils reçurent du cardinal Metzger lui-même. La tentative de Christopher Innocent Allwright avait échoué et le Vatican avait encore en sa possession un moyen de pression sur le président des Etats Unis d’Amérique.

Lorsqu’il apprit l’échec de la « mission délivrance », le président Allwright, très déçu et très triste, fut touché par une vague de pessimisme. Lui qui avait toujours tout fait pour qu’advienne le règne de Jésus sur terre, lui, le héros de la morale et le leader des forces du bien était tenu en échec par une poignée de mafieux aux ordres du vatican. Il se sentait impuissant et sa femme lui manquait terriblement. Mais ce qui l’embêtait le plus c’était que demain il devrait se justifier aux yeux de la communauté internationale car les Italiens allaient selon toute vraisemblance protester avec véhémence de cette intrusion de bérets verts Américains sur leur territoire national. Il allait falloir jouer serré maintenant pour que le règne de Jésus triomphe enfin sur la planète…


16-Un jour comme les autres aux nations unies.


Après l’affaire des bérets verts, les médias du monde entier couvrirent l’évènement qui était sans précédent dans toute l’histoire de l’humanité. La tension entre l’Italie, le Vatican et les autres pays Européens avec les Etats-Unis était extrême. Des journalistes de tous les pays du monde émettaient en direct de Rome et de Washington. En fait, on était au bord d’un conflit mondial et seuls les nations unies pouvaient encore arrêter cela.

La séance s’annonçait cruciale et en effet, elle commença par une intervention de l’ambassadeur Italien aux nations unies qui protesta énergiquement contre la violation évidente de sa souveraineté, relayé en cela par la France et la Russie qui croyaient encore en une résolution pacifique du conflit. Christopher Innocent Allwright, qui était présent, assura lui-même sa défense en prononçant un discours qui allait décider du sort du monde. Tendu, nerveux et inquiet, il commença : « Mesdames, messieurs, comme nous l’avons tous voté avec la résolution 1789, nous nous sommes mis d’accord pour empêcher cet acte abominable qu’est l’enlèvement de ma femme par les mafieux aux hommes du vatican. Personne n’ignore qui sont les coupables, personne ne peut ne pas savoir que cet enlèvement est un acte abominable commandité par des êtres abjects. Au nom de Jésus, ma femme doit m’être rendue ! Et elle me le sera de gré ou de force ! » Il prit un ton plus calme : « Je ne comprend s toujours pas la haine que je suscite chez les catholiques. Pourquoi cette agressivité, pourquoi cette violence ? Je suis un homme de paix, j’aime Jésus et jamais je ne ferai de mal à quiconque sauf aux forces du mal. » Il se fit plus bruyant : « Et les forces du mal se sont montrées au grand jour ! L’axe du mal passe par le Vatican ! L’axe du mal passe par l’Italie ! L’axe du mal passe par l’Europe ! » On entendait des grondements dans la salle. Imperturbable, le pasteur continua : « Allons-nous tolérer cet acte terroriste sans réagir ? Il en va de la sécurité de nos enfants et de nos petits enfants ! Il en va de l’avenir de la liberté ! Car nous sommes les forces du bien contre le mal et nos valeurs sont la paix et la liberté, valeurs que Dieu a donné à l’humanité ! Et nous nous battons pour les défendre ! Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ! Il est l’heure dorénavant de choisir son camp : le camp de la liberté ou le camp du crime ! » Il se fit plus déterminé : « C’est pourquoi je vais faire un guerre préventive contre le Vatican et l’Italie afin de protéger ma femme et mes compatriotes contre le danger terroriste que représente l’axe du mal. Au nom de Jésus, que Dieu protège les Etats-Unis d’Amérique ! »

L’assemblée était sans dessus dessous : les Etats-Unis souhaitaient la guerre et on ne voyait pas comment arrêter la machine. Les Italiens protestèrent, ainsi que le vatican et la France et la Russie mirent leur veto. Du côté des médias, les télévisions et radios, qui pour beaucoup étaient la propriété de la holding Allwright, entamèrent une campagne de presse contre l’Europe qui était montrée du doigt comme des pays terroristes sans foi ni loi. Et le gouvernement Américain vit voter par un parlement uni contre la menace une série de lois pour stopper les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Europe…

Le cardinal Metzger et le docteur Manieri se tenaient informés de la situation heure par heure et ils étaient inquiets eux aussi : ils craignaient pour l’avenir de la glorieuse Eglise de Rome. Deux jours après le discours de Christopher Innocent Allwright, alors que les troupes Américaines se massaient aux portes de l’Europe, le cardinal Metzger proposa secrètement de libérer Barbara Allwright en échange de parts dans les sociétés dont le pasteur était propriétaire. Ce dernier refusa, prétextant qu’il ne dialoguait pas avec des terroristes et que de toute façon il ne ferait rien qui allait à l’encontre de l’intérêt des travailleurs Américains. De son côté, Jean-Paul III multipliait les apparitions publiques et tous ses discours étaient tournés en direction d’une cession des hostilités et pour la paix dans le monde.

Une semaine après le discours du président devant les nations unies, les principaux pays Européens avaient décrété la mobilisation générale et les deux camps cherchaient des alliés de par le monde. Dans le camp Européen, on parlait de protéger l’honneur des chrétiens d’occident, dans le camp de Jésus, on mettait l’accent sur la lutte contre les forces du mal qui n’hésitaient pas à kidnapper les innocents pour parvenir à leurs fins. Du côté économique, c’était déjà la guerre : plus aucune marchandise ne circulait entre les deux grands blocs, personne ne voulant faire des affaires avec des voyous. Les présidents Européens, dans leurs discours, traitaient le pasteur Allwright de « dangereux illuminé » tandis que le pasteur disait de ses anciens alliés qu’ils étaient dorénavant les suppôts de satan. Les opinions publiques, excitées par des campagnes de presse xénophobes, souhaitaient en finir avec leurs anciens amis. Tous les jours en Europe, des manifestations contre l’ogre Américain voyaient le jour et on brûlait la bannière étoilée en plusieurs endroits et tous les jours. D’ailleurs, on ne disait plus Américains mais « gras du bide mangeurs de hamburgers » ou alors « primitifs dopés au coca-cola » et dans le pays de l’oncle Sam, outre qu’on détruisait les enseignes des groupes Européens, ceux-ci étaient appelé « les mécréants » et on les menaçait de déclencher contre eux la colère du Seigneur. En ce qui concernait les ecclésiastiques, les églises protestantes organisaient des veillées de prière où l’on chantait des hymnes à la gloire des Etats-Unis d’Amérique et où l’on priait Dieu de faire venir le feu destructeur contre ces impies d’Européens. Le vatican lui-même exorcisa officiellement les Américains en demandant à Dieu de faire quitter l’esprit du mal qui corrompait ce peuple infidèle.

Partout, on s’armait, partout, on déclarait la mobilisation générale pour éliminer le camp adverse qui était le camp du mal et en quelques semaines, chacun avait assez d’hommes pour envahir le territoire ennmi. Pour les chancelleries, c’était l’heure des alliances. L’Australie, L’Inde et la Chine se rangèrent ostensiblement dans le camp Américain tandis que la plupart des pays d’Afrique et des pays musulmans soutenaient l’Europe. Après bien des pressions économiques, l’Amérique du sud se solidarisa de son voisin du nord. Partout, l’heure était à la guerre, partout la haine au nom de Dieu l’emportait sur l’amour et la paix. Enfin, deux mois après le discours du pasteur, celui-ci décida d’en finir avec le terrorisme et lança ses missiles nucléaires sur les Européens et leurs alliés. Ceux-ci répliquèrent immédiatement en envoyant leurs propres missiles en représailles. La troisième guerre mondiale venait d’avoir lieu et c’était une guerre de religions…


Epilogue


A l’aube de la guerre nucléaire, Christopher Innocent Allwright, flanqué de son éternel Ron Whiterspoon, sortit des ruines de la maison blanche couvert de poussière. Partout autour de lui se trouvaient des maisons en ruine, des routes détruites, des bâtiments incendiés. Il n'’ avait plus âme qui vive. Contemplant le désastre, il hurlait à qui pouvait l’entendre : « Les chaînes pour qui doit être enchaîné ; la mort par le glaive pour qui doit périr par le glaive ! Voilà qui fonde l'endurance et la confiance des saints ! » Mais il n’y avait plus personne pour l’entendre. Il continuait : « Ce jour est un grand jour : nous avons triomphé des forces du mal, le bien est descendu sur terre et a puni les méchants par le feu et l’acier. Alléluiah ! Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » Il descendit du tas de gravats qu’était maintenant la maison blanche et, toujours accompagné de son fidèle lieutenant, il partait prêcher la bonne nouvelle dans une Amérique en ruines qu’il avait largement contribué à détruire…

Au sein de la basilique Saint Pierre dont il ne restait que quelques colonnes ébréchées, le cardinal Metzger et le docteur Manieri se fouettaient le dos à l’aide d’orties fraîchement coupées. « Mea culpa ! Mea culpa ! Mea maxima culpa ! » Répétaient-ils en chœur tout en se frappant le dos. Le cardinal continua : « Il est temps d’expier nos fautes, docteur, la fin du monde est arrivée et seuls les cœurs purs connaîtront la joie de la vie éternelle ! » Avant de recommencer à se fouetter le dos en psalmodiant : « Mea culpa ! Mea culpa ! Mea maxima culpa ! ». Ils n’étaient que des tristes sires régnant sur un royaume de ruines…

Barbara Petigrew Allwright finissait la flasque de whisky que ses geôliers lui avaient laissé. Complètement ivre, elle secouait les hommes de main de Don Carbone pour refaire une petite partie de poker. Ceux-ci, tout aussi ivres et fatigués, étaient lassés et refusaient. Elle ne s’était jamais sentie aussi heureuse depuis son enlèvement…

Assis au milieu des décombres de Rome, Jennifer Allwright et Jean-Paul III se faisaient un « french kiss » des plus érotiques. Tout à coup, Jennifer se retira et dit à son homme : « Tu devrais quitter tes vêtements pontificaux, ils ne servent plus à rien maintenant. »

-Tu as raison, répondit-il, je vais enfin pouvoir m’habiller comme j’ai toujours rêvé.

Il alla dans une boutique de vêtements tout proche et en ressortit avec un polo Tacchini, un pantalon de survêtement Nike et une paire de Reebok. Une fois habillés, ils prirent une mobylette qui traînait et décidèrent de passer l’après-midi à se balader dans les rues en ruine de Rome…

A Bangui, en Centrafrique, le pasteur N’douba contemplait son temple en ruines tout comme le reste de la ville d’ailleurs. Devant les rares survivants qui l’écoutaient, il disait : « Jusqu’où s’arrêtera la folie des hommes ? Au nom de Dieu les hommes ont menti ! Au nom de Dieu les hommes ont tué ! Partout j’entends le nom de Dieu mais partout il y a le mal que font les hommes ! Oui vraiment il est facile d’invoquer Dieu pour se disculper de ses propres fautes ! Dieu est un alibi pour la méchanceté des hommes ! Le monde sera meilleur quand nous aurons appris à mettre nos idéaux au service de nos actes et pas nos actes au service de nos idéaux ! Partout je vois mensonges ! Partout je vois intolérance ! Partout je vois méchanceté ! Dieu ne veut pas cela pour nous ! Et pourtant c’est au nom de Dieu que nous avons fait le mal ! Qui pourra résoudre ce mystère des hommes ! Qui pourra faire que le bien soit réel et pas seulement dans l’esprit des hommes ! Vraiment, si Dieu nous voyait, il aurait honte de sa création ! »

Puis il se baissa, ramassa quelques briques et les assembla  pour faire un petit muret. Il fallait repartir sur des bases saines maintenant…